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Quand proximité et transparence réunissent éleveurs et consommateurs

Si aujourd’hui Yvon Deknudt et son épouse, Christiane Ghequière, se consacrent essentiellement à l’élevage d’une septantaine de holsteins et à la transformation de leur lait, il n’en a pas toujours été ainsi. En effet, durant de longues années, blanc-bleu mixtes et blanc-bleu belges ont également fait partie de leur quotidien d’éleveurs. Retour sur une carrière de 30 ans durant laquelle le couple a fait évoluer sa ferme au rythme des hauts et des bas de l’agriculture belge.

Temps de lecture : 6 min

L’année 1985 marque un tournant dans la vie d’Yvon Deknudt. Accompagné de Christiane, il reprend la ferme de ses parents située à Braine-le-Comte et se retrouve à la tête d’un troupeau blanc-bleu mixte. Deux ans plus tard, l’exploitation s’agrandit et double son quota laitier. « Les parents de Christiane nous ont cédé une quinzaine d’hectares ainsi que leur propre quota », explique Yvon.

Le couple prend alors une décision importante : le cheptel blanc-bleu mixte sera remplacé par deux troupeaux distincts. Le premier, laitier, sera composé de Holsteins. Pour le second, viandeux, c’est le Blanc-Bleu Belge qui est préféré.

« Une race qui m’a toujours satisfait »

Les premières Holsteins arrivent sur l’exploitation en 1988. Habitué à une race mixte, l’éleveur doit progressivement réapprendre son métier. « Conduire une laitière et conduire une mixte, ce n’est pas la même chose ! » Presque 30 ans plus tard, il ne regrette aucunement son choix et se dit pleinement satisfait de la race et du niveau de production qu’il atteint.

Actuellement, le troupeau compte une septantaine d’animaux, pour une production laitière tournant aux alentours de 9.000 à 9.500 l par vache et par lactation, soit un total de plus de 650.000 l. Traire des hautes productrices serait synonyme de contraintes pour Yvon. « Je serais obligé de modifier ma ration mais surtout de passer à l’élevage hors-sol. Cela ne m’intéresse pas ! », défend-il. Lors des inséminations, les taureaux sont donc sélectionnés sur base de leur longévité et de leur fertilité et non en vue d’accroître la production.

La ration distribuée aux laitières se compose d’herbe, de maïs, de blé, d’avoine, d’orge, de soja et de tourteaux de lin et de colza. Avoir un ensilage d’herbe de qualité est crucial pour l’éleveur. L’utilisation de maïs est parfaitement assumée : « Vu mon niveau de production, je ne pense pas pouvoir m’en passer ».

Au menu durant l’hiver: une ration complète mélangée  composée d’ensilage d’herbe, de maïs, de blé, d’avoine,  d’orge, de soja et de tourteaux de lin et de colza.
Au menu durant l’hiver: une ration complète mélangée composée d’ensilage d’herbe, de maïs, de blé, d’avoine, d’orge, de soja et de tourteaux de lin et de colza. - J.V.

L’élevage Blanc-Bleu Belge a quant à lui été abandonné en 2000, plus de 10 ans après avoir débuté. « La transformation du lait et la vente directe ont pris de l’ampleur. Face au travail que cela nous demandait, nous avons dû faire ce choix », explique-t-il.

Un robot ? Pas à l’ordre du jour

Pour la traite, le couple a installé, voici 22 ans, une salle Gascoigne-Mélotte 2x8. « Elle n’est plus toute récente mais fonctionne sans soucis et convient parfaitement à notre activité. » Installer un robot de traite n’est pas à l’ordre du jour à la ferme « Les cinq épines ». Il faut dire qu’outre l’investissement initial, Yvon s’interroge quant aux coûts de fonctionnement et d’entretien, au gain réel de temps et à la dépendance aux alertes envoyées par le système.

« Mais je ne critique pas ceux qui choisissent d’investir dans cette technologie. J’ai moi-même réalisé un investissement conséquent il y a deux ans en achetant une nouvelle mélangeuse automotrice », ajoute-t-il. Et ce dernier de conseiller aux éleveurs tentés par le robot d’aller voir chez leurs collègues, satisfaits ou non, comment fonctionne pareille installation afin de se forger leur propre opinion.

Le dernier investissement qu’a consenti Yvon : une nouvelle mélangeuse automotrice Matrix, pour plus de confort  de travail.
Le dernier investissement qu’a consenti Yvon : une nouvelle mélangeuse automotrice Matrix, pour plus de confort de travail. - J.V.

En attendant le passage de la laiterie, tous les trois jours, le lait est conservé dans deux tanks de respectivement 5.200 et 2.500 l. Le premier est dédié au lait entier tandis que le second ne stocke que le lait écrémé issu de la fabrication du beurre.

« Le magasin, c’est notre force »

Début des années ‘90, les éleveurs laitiers ont connu une première petite crise du lait. En un an, le prix payé par les laiteries avait baissé d’un franc belge. Suite à cela, Yvon et Christiane décident de battre du beurre, initialement pour eux. « Pourquoi en acheter dans le commerce alors que nous produisons nous-même du lait ? » Ils l’ont ensuite progressivement commercialisé, comme le faisaient les parents de Christiane. Le magasin à la ferme venait de voir le jour !

Au fil des ans, la gamme de produits laitiers s’est étoffée. Outre le beurre, Christiane transforme tous les jours 25 à 30 % du lait produit en fromages blanc et frais, yaourts nature et aux fruits, crèmes glacées, flans ou encore fromages pour matons. Le panel de produits disponibles dans le magasin a suivi la même tendance. Fromages à pâte dure, pommes, poires, chicons… en provenance directe des fermes voisines y sont également disponibles. Il en va de même pour le lait Fairebel et les pommes de terre produites sur la ferme sous la houlette de leur fils Sébastien.

Une large gamme de produits laitiers, fruits du travail de Christiane, est diponible au magasin à la ferme.
Une large gamme de produits laitiers, fruits du travail de Christiane, est diponible au magasin à la ferme. - J.V.

L’éleveur le reconnaît, si la ferme et le magasin fonctionnent si bien, c’est parce qu’ils sont deux à y travailler. « L’étable, c’est mon domaine ; le magasin et la transformation, ce sont ceux de mon épouse. » Mais ni l’un ni l’autre ne se cantonne à son propre rôle. Ainsi, Christiane prend part à la traite et il arrive qu’Yvon serve les clients au magasin.

« Pour évoluer vers la vente directe, nous avons besoin du soutien de nos épouses », insiste-t-il.

Avant d’ajouter : « Mais pour écouler notre production, nous avons également besoin des industries. Pour autant qu’elles n’exagèrent pas sur leurs marges… ».

Ne rien cacher aux consommateurs

À la ferme « Les cinq épines », le magasin présente la particularité d’être installé au cœur même de l’atelier de transformation accolé à la salle de traite. Les époux Deknudt n’envisagent pas une seule seconde d’aménager un comptoir dans une pièce distincte. En effet, leur objectif est clair : être au plus près des consommateurs et travailler en toute transparence vis-à-vis de ceux-ci. Même la traite du troupeau leur est montrée, s’ils le demandent. « Nos clients viennent à la ferme, pas au supermarché ! », plaide Yvon.

Une transparence qui contribue plus que probablement à la renommée du magasin. Les importantes manifestations organisées ces dernières années par les éleveurs laitiers ont également provoqué l’engouement du public pour la vente directe. La fréquentation de jeunes consommateurs est d’ailleurs en hausse aux « Cinq épines ».

Cette ouverture au public se traduit également à travers divers événements : journées fermes ouvertes, accueil d’éleveurs étrangers…

Des incertitudes pour l’avenir

Depuis cinq ans, Sébastien, le fils d’Yvon et Christiane, a intégré la ferme de ses parents. Peu attiré par l’élevage, il s’est lancé, avec brio, dans la culture de la pomme de terre. « C’est de plus en plus difficile de gagner sa vie en trayant… Je ne peux pas en vouloir à mon fils s’il ne souhaite pas se lancer dans cette direction », concède Yvon. En outre, les incertitudes sont nombreuses sur le marché du lait. Si les prix ne remontent pas prochainement, il envisage de réduire son cheptel. De même, si une partie des surfaces fourragères est remplacée par des pommes de terre, le nombre d’animaux sera revu à la baisse.

Autre incertitude : le foncier. Actuellement, la ferme s’étend sur une septantaine d’hectares (emblavés de céréales, pommes de terre, betteraves, chicorées et prairies) dont environ la moitié est cultivée en faire-valoir direct. « Vu le coût actuel des terres agricoles, comment pourrais-je céder mes parcelles à Sébastien à un prix correct pour lui mais sans léser ma fille ? », s’interroge-t-il.

De con côté, Yvon a donc décidé de ne plus faire d’investissement conséquent, outre sa nouvelle mélangeuse il y a deux ans. Mais, si Sébastien venait un jour à reprendre la moitié de la ferme, son père serait prêt à le suivre dans cette nouvelle aventure et à investir pour et avec lui.

J.V.

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