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Sale temps pour Cassandre

Pressentir et annoncer des catastrophes sans être jamais écouté, ou si peu, est extrêmement frustrant, voire révoltant quand le cataclysme présagé se produit avec pertes et fracas. Telle est la malédiction de Cassandre, personnage de la mythologie grecque douée de prophétie, mais incapable de convaincre quiconque de la validité de ses prédictions. En 2021, Cassandre est météorologue et nous met en garde depuis 30 ans contre les risques effroyables du réchauffement climatique. Les 12 et 13 juillet derniers, par la voix des mesdames et messieurs Météo, elle a annoncé des risques majeurs d’inondations en province de Liège, sans être vraiment prise au sérieux, de toute évidence. Cette bonne vieille Cassandre scrute tous les domaines entrelacés de la vie, y compris et surtout l’agriculture ! Jamais écoutée, souvent tournée en ridicule ; donneuse d’alerte crainte et détestée, ballonnée par ceux dont elle dérange le business…

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Le spectre de la divinité maudite plane au-dessus des méandres de la Vesdre et de la Helle, contemplant les désastres augurés par les prévisions météorologiques. La vallée sinistrée n’est plus qu’une horrible plaie suppurante, enflammée d’émotions fiévreuses : souffrance, angoisse, deuil, épuisement, désespoir, colère… Les gens sont fâchés, et c’est peu de le dire, sur un Destin funeste et sur tout le monde : sur cette fichue météo, sur leurs édiles communaux, sur les responsables des barrages en amont qui (1º) n’ont pas délesté leurs réservoirs, malgré les alertes insistantes, lors des jours précédant les fortes précipitations annoncées, « afin de garder un bon niveau pour faire de l’électricité », et qui (2º) ont été obligés de lâcher brutalement, en pleine nuit et sans prévenir, des milliers de mètres cubes d’eau en deux vagues monstrueuses qui ont tout dévasté sur leur passage et tué des dizaines de personnes. Personne n’a voulu prendre météo-Cassandre au sérieux, et l’on cherche aujourd’hui des coupables sur qui se défouler, à qui réclamer des dédommagements. Au final, seront pointés du doigt les atermoiements et les défauts de prévoyance, mais personne en particulier ne sera responsable ; ce sera la faute à « pas de chance » et aux changements climatiques.

En attendant, les dégâts sont inouïs, spectaculaires, invraisemblables ! « Apocalypse Now » version belge ! Serons-nous assez fous pour encore ignorer les changements climatiques induits par les activités humaines ? Oui, fort probablement, car l’homme est fou par définition, et la malédiction de Cassandre poursuit tous ceux qui annoncent depuis des lustres une succession infernale de catastrophes naturelles, provoquées par le trop rapide réchauffement de notre Terre. Nous regardons le changement climatique comme nous avons regardé en Europe le coronavirus, lorsqu’il a commencé à se répandre en Chine. Nous nous disions que cela ne nous concernait pas vraiment. Les responsables politiques -des pays riches et pauvres- ont toujours privilégié les préoccupations économiques à court terme. Ils ont négligé les lois de la nature, lesquelles finissent maintenant par se retourner contre l’ensemble des populations mondiales.

Ceci dit, le syndrome de Cassandre sévit depuis l’aube de l’humanité. Nos ancêtres préhistoriques attendaient sans doute que le troupeau de mammouths fût à cent mètres de leur campement avant de fuir celui-ci, quand ils ne mouraient pas écrasés en pleine nuit. Les exemples abondent et jalonnent l’histoire des hommes. En 1933, personne n’a bougé devant la montée du nazisme. Personne n’a écouté non plus les scientifiques qui dénonçaient les méfaits du tabac, de l’amiante, du benzène, du formaldéhyde, etc, etc. La destruction systématique de l’agriculture familiale s’est écrite comme la chronique d’une mort annoncée, sans que les paysans-Cassandre soient le moins du monde écoutés, dès les années 1960.

La nature humaine est ainsi faite, qui nous conduira inéluctablement à notre auto-destruction. Nous portons le gène « Cassandre » en nous, et nos enfants paieront fort cher l’aveuglement des puissants de ce monde, soucieux surtout d’assurer leur prospérité à court terme. Nos descendants paieront notre pusillanimité, notre lâcheté, nos errements devant les efforts à accomplir afin d’assurer une transition écologique : une diminution drastique des émissions des gaz à effet de serre, accompagnée de leur captage. Les catastrophes de cet été -inondations ici, sécheresses, dômes de chaleur et incendies ailleurs- sont des signes irréfutables, qu’il faut accepter de regarder en face, si nous voulons dompter nos démons.

Pauvre Cassandre. Pauvre de nous…

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