Croissance économique et réduction des émissions de gaz: est-ce compatible?

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Tous les discours politiques l’affirmeront car par définition le monde politique est visionnaire, rassurant et ne doute pas. Par contre si l’on consulte d’autres sources d’information de gros doutes apparaissent. Par exemple, il est plus qu’intéressant de visionner la séance d’introduction à l’année académique 2020 – 2021 donnée par Jean-Marc Jancovici, expert français en matière climatique : « Il était une fois l’énergie, le climat, et la relance post-covid » (durée 2h20, facile à trouver en introduisant sur le web le titre et l’auteur). Cet exposé est très bien documenté et il y est clairement expliqué qu’une croissance économique est incompatible avec une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), qu’il serait plus qu’utile et urgent de définir nos priorités et d’aller rapidement vers des systèmes de consommation plus sobres. Pour limiter la hausse des températures à 2º il faudrait réduire chaque année nos émissions de GES de 5 %, ce qui correspond +/- aux effets liés à la réduction de la consommation en 2020 dû à la pandémie Covid. Autrement dit, il faudrait chaque année les effets d’un Covid supplémentaire et ainsi en 2030 nous aurions réduit nos émissions de GES de 50 %, en ligne avec les objectifs fixés. Il suffit de regarder autour de nous pour se rendre compte que l’on est loin du compte et que la sortie de la pandémie Covid semble bien plus nous diriger vers une accélération de la consommation qu’une réduction, on ne nous dit pas qu’il faut rouler moins en voiture mais on nous dit de changer de voiture. Il semble bien que l’on veuille récupérer coûte que coûte le temps perdu.

Parmi les nombreuses leçons qui devraient être retenues de la pandémie il y a certainement l’importance des métiers que l’on a qualifiés d’essentiel ; par exemple peut-on imaginer que les soins de santé dans les hôpitaux aient cessé de fonctionner ou aient été dépassés par manque d’effectifs, qu’un tri sélectif ait dû être opéré entre ceux que l’on pouvait soigner et ceux que l’on ne pouvait pas ? Peut-on imaginer les étals des magasins alimentaires vides ? On sombrerait très vite dans une situation de violence inouïe. Qu’il y ait rupture dans la chaîne d’approvisionnement de composants électroniques cela peut être gênant dans le monde d’aujourd’hui mais ce n’est pas vital. C’est un cas qui devrait avant tout nous sensibiliser sur notre vulnérabilité, sur les limites de notre économie mondialisée. La dépendance vis-à-vis de nos importations pourrait aussi toucher des secteurs bien plus essentiels. S’il y avait rupture dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire la situation deviendrait très vite ingérable.

Pour peu qu’on fasse encore le lien, lorsque l’on traverse nos campagnes verdoyantes on peut se sentir rassuré, sur le plan alimentaire on produit encore bien autour de nous et l’on sait que l’on est excédentaire sur les produits essentiels ce qui maintien les prix des productions agricoles à des niveaux artificiellement bas, en dessous des coûts de production. Cependant un simple petit calcul nous montre que nous sommes vulnérables. La Belgique compte 11,5 Mio d’habitants et dispose de 1,35 Mio d’hectares de terres agricoles soit moins de 12 ares pour nourrir une personne pendant 365 jours. Autant dire qu’avec notre mode d’alimentation c’est très peu et avec une population en augmentation, des surfaces agricoles qui se réduisent et des aléas climatiques qui s’amplifient cela ne peut que se détériorer. Il ne faudrait pas que le port d’Anvers arrête de fonctionner, que nos importations de soja ou d’énergies fossiles cessent du jour au lendemain. Notre agriculture est très dépendante des énergies fossiles, sans pétrole les tracteurs s’arrêtent et bon nombre d’intrants seront en pénurie. D’où il est crucial de préserver et de faire évoluer nos modes de production pour maintenir un minimum d’autonomie et de résilience.

Pour maintenir ce minimum d’autonomie l’élément incontournable est la disponibilité des sols. Sans terre arable il n’y a pas d’agriculture et pas de production alimentaire et la dépendance est totale. Les terres arables c’est un peu notre pétrole, c’est avec l’eau une de nos principales ressources naturelles, par définition limitée et non renouvelable. Le sol apparaît aussi de par sa capacité à stocker le carbone comme un élément de la solution pour enrayer le changement climatique. Malheureusement, force est de constater que nos modèles économiques n’ont jamais été très respectueux des sols et n’ont cessé de grignoter sans cesse de l’espace pour croître ou se maintenir, sans se soucier de réparer ce qui a été souillé, un peu comme s’il s’agissait d’une ressource inépuisable. Mais aujourd’hui et pour durer le bon sens impose plus que jamais de préserver nos sols, de réorienter l’activité économique vers plus de sobriété, de ne pas se laisser séduire par les solutions faciles sans pérennité.

Par rapport à cela que pouvons-nous attendre de nos décideurs ? Si, pour rester pragmatique, on se limite à notre petit territoire wallon et que l’on consulte les intentions du Gouvernement sur le site du Portail de la Wallonie, on y voit de grandes ambitions, on veut « changer les choses qui doivent ou devraient l’être ». Pour cela un plan décliné en 5 axes prévoit notamment d’amplifier le développement économique mais aussi d’assurer la soutenabilité environnementale.

Tout cela est bien louable mais semble peu convaincant une fois que l’on a visionné l’exposé de Jean-Marc Jancovici. Va-t-on continuer à appliquer les vieilles recettes du passé en espérant qu’elles donnent d’autres résultats que par le passé ? Lorsque l’on constate que dans son édition du 8 juillet, le journal de la Fwa consacre un dossier juridique de quatre pages sur l’expropriation pour cause d’utilité publique il est fort à parier que la préservation des sols c’est-à-dire la préservation d’un minimum d’autonomie alimentaire passera au dernier plan pour privilégier le mirage du développement économique. Nous attendons autre chose de nos décideurs, il faut de la cohérence dans les actes, on ne peut d’une part prétendre promouvoir l’agriculture, préserver l’environnement et le climat et d’autre part signer pour bétonner les terres agricoles. Cela doit en être fini de passer l’ardoise aux générations futures.

AB

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