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Reculer pour mieux sauter?

Est-il honteux de faire marche arrière, contraint et forcé, d’admettre que l’on a pris des habitudes désastreuses, des décisions catastrophiques, et qu’il serait opportun de revoir sa manière de fonctionner ? A-t-on peur de perdre la face ?

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Je ne parle pas de Poutine ni de la guerre en Ukraine, mais des habitants d’Europe de l’Ouest plongés jusqu’au cou dans un torrent d’ennuis qui les obligent à s’accrocher à toutes sortes de solutions pour surnager… Ainsi, il est assez désopilant d’observer des gens qui riaient de nous et de ceux qui se chauffent encore au bois, de les voir se ruer maintenant sur tout ce qui brûle sans trop regarder ce qu’ils utilisent ! On réagit de manière étonnante quand les factures d’énergie vous fouaillent le portefeuille, lorsque le froid congèle votre maison, tandis que les soucis d’argent vous empêchent de bien dormir. Allons-nous retourner 60 ans en arrière… pour mieux consommer ensuite ?

« Gouverner, c’est prévoir ! ». Ce pourrait être un proverbe paysan. Les agriculteurs travaillent sans cesse pour constituer des stocks. Ils se projettent dans l’avenir, et lorsqu’ils sont pris au dépourvu, retiennent la leçon, qui leur servira dans le futur. Au printemps, à peine les dernières neiges sont-elles fondues, et nous songeons déjà à l’hiver suivant, aux réserves qu’il nous faudra reconstituer en été. Mettre en place des cultures, fertiliser les champs pour récolter plus tard des céréales et des fourrages qui nourriront nos animaux aux temps froids, lesquels frimas qui reviendront obligatoirement en fin d’année. C’est devenu une seconde nature, de garder ainsi précieusement ce qui pourra un jour nous faire défaut : du foin dans les hangars, des pommes de terre à la cave, de la viande et des légumes au congélateur, du bois de chauffage pour trois ans d’avance, une poire pour la soif en trésorerie. Autour de nous, la plupart des gens sont cigales et vivent en flux tendu ; le monde moderne leur a inculqué des habitudes de consommation débridée, sans songer plus loin que le bout de leur nez.

Ils dansent tout l’été en se moquant de nous, et se sont trouvés bien dépourvus ces jours-ci quand la bise glacée est revenue, sur fond de mazout et de gaz de chauffage fort chers. Mais sans doute, de notre côté, poussons-nous l’excès dans l’autre sens, à craindre sans cesse des pénuries, à jouer aux écureuils qui remplissent à ras-bord leurs caches de noisettes pour l’hiver ? Nos parents ont inscrit cet instinct de survie dans notre mode de fonctionner. Nos enfants quant à eux se moquent gentiment de nous, de cette obsession à ne rien vouloir jeter, à garder des vieux brols qui ne servent plus : une habitude qui confine un peu, selon eux, à de la « syllogomanie » (trouble psychique qui se traduit par une accumulation pathologique de toutes sortes de choses). OK, d’accord, je plaide coupable pour deux catégories : les bouquins que je conserve par milliers de manière compulsive, et le bois de chauffage. Mais dans ce dernier domaine, je trouve que c’est plutôt une qualité ! Avant d’être brûlé, le bois doit mourir et sécher au minimum pendant deux ans, sinon la combustion n’est pas optimale ; le rendement en chaleur est mauvais et le foyer dégage des fumées polluantes.

Ces jours-ci, j’ai été vraiment ahuri de voir des bûcherons amateurs scier des bûches façonnées en été, pour les brûler cet hiver ! Sans doute n’ont-ils pas le choix, et choisissent-ils le moindre entre plusieurs maux ? Les pellets sont hors de prix et le bois de chauffage sec à vendre est introuvable. Pourtant, il en traîne partout dans les sapinières et les taillis de feuillus ! Par chez nous, beaucoup de particuliers n’entretiennent pas leurs petites parcelles, souvent des héritages qu’ils ont oubliés, ou n’ont pas le temps ni l’envie de nettoyer. Les arbres morts s’écroulent les uns sur les autres de manière inextricable et pourrissent bêtement. Ils étaient ultra-secs durant l’été et auraient convenu parfaitement pour pallier les problèmes de chauffage de cet hiver, avec l’accord des propriétaires bien entendu. Seulement voilà, il faut s’équiper d’une tronçonneuse, et surtout avoir le courage d’effectuer un travail astreignant qui demande un peu de métier et beaucoup de motivation, sans oublier de la prudence ! Les accidents en forêt ne sont pas rares et souvent très graves ! Une lame de tronçonneuse rentre comme dans du beurre dans un bras ou une jambe, et vous arrache du muscle sur une largeur de plusieurs centimètres. Un arbre plié comme un arc peut vous revenir en pleine figure si on le coupe sans réfléchir et vous mettre KO, quand il ne vous arrache pas un œil ou vous envoie directement chez Saint-Pierre…

Rien n’est simple, et revenir aux temps anciens demande pas mal de réflexion ! Lorsqu’on marche dans un champ de mines, reculer n’est pas toujours la meilleure option. L’important est de bien regarder où l’on met les pieds. Pourtant, quand on y songe, de multiples solutions existent, à portée de main ! Des denrées autrefois précieuses et exploitées avec savoir-faire sont devenues aujourd’hui quasiment des déchets. J’ai pris le bois mort de nos forêts comme exemple, mais que dire de la laine de nos moutons, un produit local dont personne, ou presque, ne veut plus ? De nouvelles filières peinent à se mettre en place, pour un retour vers un certain passé qui mériterait à coup sûr d’être ressuscité.

Reculer pour mieux sauter, afin de mieux produire et consommer ?

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