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Au pied du Mur des Fascinations

« La fascination est le plus universel de tous les maux, car les hommes séduits par leurs passions et leur imagination font entre eux un perpétuel commerce d’erreurs. ». Cette citation est attribuée à un auteur anonyme vivant au Moyen-Âge. À cette époque, et déjà depuis les plus anciennes civilisations, la « fascination » -cet attrait irrésistible et paralysant- était considérée non comme une émotion, mais plutôt comme une véritable maladie de l’âme et du corps. Aujourd’hui, plus que jamais, l’être humain tombe en fascination de manière déconcertante, ébloui par des personnes, subjugué par des discours, envoûté par des modes de pensées orchestrées pour le meilleur parfois, mais souvent pour le pire ! L’agriculture n’échappe pas à ce phénomène, victime et coupable consentante des avatars de la fascination universelle.

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Nous sommes des êtres de raison, et surtout d’émotions. Nous ne pouvons empêcher nos cinq sens d’être attirés et captivés par certains stimuli particuliers. Quelque part dans notre cerveau archaïque, cette réaction fait partie des réflexes indispensables à la survie de notre espèce. Dès notre naissance, nous tombons en fascination devant notre maman, et cet enchantement durera toute au long de notre existence. Un jour, nous rencontrons un être qui nous fascine complètement, et devient peut-être notre compagne, notre compagnon pour la vie ; puis nous avons des enfants, lesquels nous fascinent à leur tour de manière absolue. La fascination est ici positive, et nous engage sur des chemins qui devraient conduire vers notre bonheur et celui des autres.

Par ailleurs, chacun peut trouver sa fascination dans un domaine particulier : une facette de son métier, un sport, la lecture, l’informatique, l’art, l’histoire, etc, etc. Ces engouements pourraient s’expliquer par notre nature profonde, notre éducation, notre parcours de vie, mais souvent, ces ensorcellements demeurent inexplicables. Une chanson, un paysage, une activité, un personnage peuvent à tout moment déclencher un enchantement béat, pour un instant ou pour une vie.

Les Anciens considéraient plutôt le revers de la médaille. Selon les philosophes du temps jadis, la fascination est une faiblesse qui nous fragilise et nous emprisonne, une arme imparable pour celui qui l’utilise avec adresse et sans scrupule. Ainsi l’Allemagne, nation intelligente et très cultivée, industrieuse et en avance dans tous les domaines scientifiques, a vu au 20e siècle sa population tomber éperdument amoureuse d’un tribun au magnétisme foudroyant, lui-même horriblement fasciné par des thèses guerrières et racistes. On connaît le résultat… Les charmeurs sont redoutables, et nous-mêmes tombons trop facilement dans le panneau. On dit d’eux qu’ils ont du « charisme », que leur aspect, leur voix, leurs discours suscitent en nous une attirance subjugante, le plus souvent subjective. Certains artistes, gourous religieux ou politiques…, exercent une séduction paralysante sur ceux qui sont pris dans leurs filets et perdent ainsi leur libre arbitre. Il n’est jamais bon d’être sous la coupe de quelqu’un, eut-il le visage d’un ange, la barbe d’un ayatollah ou la faconde d’un leader populiste…

Nous sommes trop facilement dupés par ces mirages magnifiques. Les puissants de ce monde déploient des armes de fascination massive. Ainsi, le modèle capitaliste, où l’argent règne en maître, fascine encore et toujours le monde entier, malgré les ravages qu’il provoque : l’exploitation de l’homme par l’homme et les scandales humanitaires, la mise à sac organisée des ressources naturelles, la pollution et le dérèglement climatique… Les pays riches attirent les migrants comme de puissants miroirs aux alouettes. Les pays sous-développés copient notre modèle, et saccagent leur propre culture, au risque de perdre leur âme. Des foules innombrables s’agenouillent en prière au pied du Mur des Fascinations, le mur de l’argent. Nous-mêmes agriculteurs, n’avons pas fermé nos oreilles à l’appel des sirènes du productivisme à tous crins, enchantés par leurs voix ensorceleuses. Les techniques modernes en fascinent beaucoup parmi nous, les céréales et les cultures aux rendements mirifiques, les animaux hyperviandeux ou hyperlaitiers. Nos parents et grands-parents sont tombés après-guerre dans l’admiration sans borne, la fascination inconditionnelle des États-Unis, de son grand marché intérieur, de son agriculture moderne et industrielle.

On ne peut pas dire que cette fascination aveuglante ait réussi à la paysannerie ; la course essoufflante aux rendements a laissé les neuf dixièmes d’entre nous sur le bord de la route… Nous ne sommes plus qu’une poignée de fermiers, bêtement fascinés par les images faussées de notre métier, isolés dans une société plus que jamais fascinée par des « stars », des étoiles filantes et des comètes ardentes qui masquent des trous noirs béants, lesquels nous engloutiront bientôt si nos regards ne se posent enfin sur les défis réels de notre temps, ces défis qui devraient enfin… nous fasciner !

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