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Emissions et stockage des GES: climat, agriculture et forêts, de quel bois se chauffe-t-on en Wallonie?

Lors du sommet des producteurs réuni il y a quelques semaines autour de la thématique de la foire de Libramont, les enjeux et le contexte législatif pour les secteurs agricole et forestier n’ont pas manqué d’être évoqués.

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En considérant la période 1990-2015, on observe que les émissions de gaz à effet de serre (GES) en Région wallonne ont reculé de manière très significative : – 36 % en 25 ans. Parmi les raisons de ce recul, André Guns, de l’Agence wallonne de l’air et du climat, identifie notamment l’amélioration globale de l’efficience énergétique, avec un changement de combustible, passant du charbon et du mazout au gaz naturel qui émet moins de CO2 pour une même quantité d’énergie. La fermeture de hauts-fourneaux et autres outils sidérurgiques est un autre élément d’explication, de même que la crise économique de 2009. Plus proche de nous, le coup de chaleur en 2014, qui fut l’année la plus chaude jamais observée en Belgique, avec des besoins en chauffage minimes et les émissions les plus basses depuis 1990.

Le réchauffement climatique  n’est pas sans incidence sur  la croissance et le développement des espèces cultivées. Certains coups de pouce deviendront-ils  superflus?
Le réchauffement climatique n’est pas sans incidence sur la croissance et le développement des espèces cultivées. Certains coups de pouce deviendront-ils superflus? - M. de N.

Cette évolution des émissions de gaz à effet de serre est toutefois assez contrastée selon les secteurs. Ainsi, les déchets, l’agriculture, le résidentiel, mais surtout la production d’électricité (changement de combustible et amélioration de l’efficience énergétique) et bien plus encore l’industrie (amélioration des procédés, meilleure efficience énergétique, fermetures d’entreprises) ont contribué à ce recul observé.

D‘autres secteurs, par contre, ont accru leurs émissions de CO2. C’est le cas du secteur tertiaire, logiquement, puisqu’il a commencé à se développer en 1990 et ses émissions correspondent à sa croissance économique, mais aussi du transport routier, qui demeure le point noir à l’échelle de la Belgique et plus largement de l’Europe.

Le secteur agricole et les GES

Si l’on considère le seul secteur agricole (figure 1), il apparaît que ses émissions de gaz à effet de serre ont fléchi de 15,5 % depuis 1990. Analysons cela pour les 5 sources majoritairement en cause :

– la fermentation entérique chez les ruminants (quelque 40 % des émissions totales) ;

– les sols agricoles, avec essentiellement des émissions de protoxyde d’azote, un sous-produit d’une réaction de nitrification et dénitrification ;

– le chaulage (émissions très limitées) ;

– le stockage des effluents d’élevage responsable d’émissions de méthane et de N2O ;

– la combustion par les machines agricoles (8 % des émissions totales) et, dans une moindre mesure, le chauffage des serres (essentiellement en Flandre).

émissions

Les deux principaux facteurs de réduction desdits GES sont la diminution des effectifs du cheptel bovin, dont les vaches laitières, mais également la réduction des apports azotés minéraux et organiques (en lien avec le recul du cheptel).

Émissions et séquestrations de carbone par les terres de culture, prairies et forêts en Wallonie en 2015

Les boisements/déboisements (correspondant à des changements d’affectation des terres, qui par exemple sont converties en prairie, en habitation…) constituent une catégorie spécifique dans le cadre du protocole de Kyoto et des accords européens car ils sont dus intégralement à l’activité humaine. Ce volet est estimé émettre 479 kt (kilo tonnes) CO2, soit 1,3 % des émissions totales de la Région wallonne. Il ne faudrait toutefois pas en conclure à une déforestation de la forêt wallonne ; ce n’est absolument pas le cas. Ce calcul reflète simplement le fait que lorsque l’on déboise, on comptabilise dans l’année toutes les émissions de CO2 liées à la suppression des arbres concernés, tandis que lors d’un boisement, on aura une accumulation progressive de carbone par l’écosystème. Ce décalage temporel explique pourquoi l’on aboutit à des émissions nettes. Mais la surface forestière en tant que telle est absolument stable, et même en croissance par rapport au début du siècle.

La gestion forestière (dans laquelle s’inscrit la récolte de bois, qui est suivie d’une replantation) représente l’ensemble des forêts de la Région wallonne et constitue un puits net considérable de 3.002 kt CO2-éq, soit une absorption de 8,3 % des émissions annuelles totales.

Selon les estimations actuelles, les sols des terres de culture sont une petite source d’émission (19 kt CO2-éq.) tandis que les sols de prairie stockent (puits) du carbone (227 kt).

Une large part des émissions du secteur agricole est liée aux changements d’affectation des terres qui vont donc provoquer une évolution du stock de carbone dans le sol.

Il est important de noter que seule une petite partie (10 à 15 %) des séquestrations de carbone est comptabilisée dans le cadre des objectifs climatiques au niveau européen ou international, selon des règles complexes, dont l’objectif est de ne comptabiliser que les séquestrations directement liées à une intervention humaine et pas la croissance « naturelle » des forêts existantes.

Émissions d’ammoniac et de particules fines

Le secteur agricole est de très loin la principale source d’émission de NH3 (90 % du total) en Région wallonne. Ces émissions ( figure 2 ), qui représentent 19 kt par an, ont diminué de 15 % depuis 1990. Elles sont dues à 4 vecteurs majeurs : le pâturage, le stockage des effluents, l’application de ceux-ci, et la fertilisation minérale. La plus grande part provient de l’épandage des effluents (émission de NH3 lors de l’épandage de lisier par exemple).

ammoniac

Le recul de ces émissions d’ammoniac et particules fines, observé depuis 1990, est dû aux mêmes éléments que ceux qui ont permis de réduire les émissions de gaz à effet de serre. On peut y ajouter notamment l’utilisation d’injecteurs lors de l’application du lisier qui permet de limiter les pertes par évaporation.

Outre ses impacts sur l’eutrophisation et l’acidification des écosystèmes, le NH3 est identifié comme un des précurseurs de la formation de particules secondaires – notamment le nitrate d’ammonium –, qui pourraient contribuer aux pics printaniers de particules observés. Ce sujet est actuellement à l’étude au sein de l’Awac, qui tente de vérifier s’il y a une corrélation, par exemple, avec les épandages de lisier au mois de mars, moment où prend fin la période d’interdiction d’épandage. Cela reste à confirmer.

Quel avenir climatique en Wallonie ?

En Wallonie, l’Agence wallonne de l’air et du climat a établi des projections à l’échelle de la Région wallonne. « Le défi est assez audacieux, sachant qu’à l’échelle mondiale il est déjà très délicat de se livrer à cet exercice, tant les incertitudes sont nombreuses », admet le climatologue.

Pour la Wallonie, le changement climatique nous projette vers davantage d’épisodes de pluies intenses en hiver et des canicules estivales  plus fréquentes.
Pour la Wallonie, le changement climatique nous projette vers davantage d’épisodes de pluies intenses en hiver et des canicules estivales plus fréquentes. - M. de N.

Sur la base de différents scénarios, on s’oriente sans ambiguïté au sud du pays vers un climat plus chaud mais pas forcément moins pluvieux. La pluviométrie annuelle pourrait se maintenir à son niveau actuel, mais sa répartition pourrait changer. Les hivers seraient moins froids, mais plus pluvieux – risque d’inondations et d’érosion –, et les étés plus chauds et plus secs. Les saisons intermédiaires seraient globalement plus douces.

Et quels impacts sur l’agriculture et la forêt ?

En ce qui concerne l’agriculture, cette évolution du climat entraînera un accroissement des risques d’érosion, une plus grande variabilité de la production des cultures, des prairies et de l’élevage et une plus grande fréquence des événements extrêmes. On peut s’attendre aussi à une augmentation de la pression des maladies, parasites et autres adventices notamment en raison des hivers plus doux qui ne permettront pas de « faire le grand nettoyage ». Les besoins en eau et le risque de stress hydrique vont également progresser.

Si une faible hausse de la température moyenne aura un impact positif sur les rendements qui pourraient bénéficier également de l’effet stimulant du C02 sur la photosynthèse, la poursuite de cette hausse pourrait rapidement devenir problématique en raison des facteurs limitants (moindre disponibilité en eau et en nutriments) qui pourraient inverser la tendance. De même une succession éventuelle de sécheresses et d’inondations pourrait fortement impacter la production agricole.

Au plan forestier, on observerait un schéma relativement similaire en termes d’augmentation possible de la croissance des arbres (hausse puis frein dû à une baisse de la fertilité des sols et à la sécheresse), mais également une augmentation de la pullulation de certains ravageurs. On peut craindre aussi une augmentation des dégâts liés aux aléas climatiques (feux, risque de gel…) On sait également que plusieurs essences ne seront plus vraiment en station (la production de bois pourrait en souffrir), ce qui rendra nécessaire un grand travail d’adaptation des espèces dans les massifs forestiers. Cette adaptation devra se faire sur le long terme en anticipant un maximum.

L’élévation de la température va modifier les aires de distribution  des espèces forestières et nécessiter un profond travail d’adaptation  sur le long terme.
L’élévation de la température va modifier les aires de distribution des espèces forestières et nécessiter un profond travail d’adaptation sur le long terme. - M. de N.

Le contexte législatif

Concernant le méthane CH4 et le protoxyde d’azote N2O, les émissions sont déjà comptabilisées dans les objectifs européens et internationaux pour la période 2013-2020. L’objectif wallon est de réduire les gaz à effet de serre de 14,7 % par rapport à 2005.

Le carbone, CO2, qui est lié notamment à la gestion forestière est actuellement comptabilisé dans les objectifs européens pour 2013-2020 ; par contre l’évolution des stocks de carbone dans les terres de culture et les prairies ne sera prise en compte qu’à partir des objectifs 2021-2030.

Quant à l’ammoniac NH3, l’objectif belge pour 2030 est d’en réduire les émissions de 13 % par rapport à 2005.

Et toujours au plan national, l’objectif de réduction des émissions des GES fait actuellement l’objet de négociations, mais il s’oriente vers -35 % pour les secteurs non-industriels (dont le secteur agricole) à l’horizon 2030.

Il est bon de souligner également que, comme pour le résidentiel ou le tertiaire (transport) – soit des domaines essentiellement liés aux individus –, les émissions et séquestrations des secteurs agricole et forestier ne sont actuellement pas comptabilisées au niveau des exploitations considérées individuellement, mais bien au niveau régional et national.

Les mesures wallonnes

En Wallonie, deux mesures principales sont en cours quant à la réduction de ces émissions : le décret Climat et le plan air-climat-énergie.

À travers le décret Climat, adopté en 2014, le Gouvernement wallon s’est donné des objectifs ambitieux de réduction d’émissions de GES de 30 % d’ici 2020 et de 80 % à 95 % d’ici 2050, par rapport à 1990. Ces objectifs s’accordent avec les recommandations mondiales de l’Accord de Paris sur le climat pour limiter à 2º. La mise en œuvre de ce décret climat est un processus itératif (répété à plusieurs reprises) qui comprend la fixation de budgets climatiques globaux et sectoriels, avec l’appui d’un Comité d’experts

Quant au Plan Air-Climat-Energie adopté en 2016, il décrit pour la période 2016-2022 les actions à mener dans la lutte contre les émissions des gaz à effet de serre et des autres polluants atmosphériques. Ce plan va être revu pour intégrer les objectifs 2030, en particulier un objectif de -35 % pour les secteurs non-industriels, évoqué ci-avant.

Pas simple pour le secteur agricole !

« Pour le secteur agricole, l’application des mesures de réduction des émissions est parsemée d’embûches », avertit André Guns.

Prenant le cas des actions à mener au sujet du méthane et du protoxyde d’azote, le climatologue pointe la difficulté d’identifier des mesures dépourvues d’effets antagonistes sur les émissions des autres gaz. C’est typiquement le cas lorsque l’on considère la couverture des fosses à lisier qui permet de limiter les missions de N2O, mais qui va en même temps accroître la production de méthane et inversément.

Une autre difficulté vient du manque de quantification de l’impact des mesures existantes, étant donné que les pratiques visées peuvent être mises en œuvre individuellement par les agriculteurs.

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M. de N.

Enfin, on sait que le maintien des prairies permanentes est un enjeu essentiel pour éviter les pertes de CO2 liées à la déminéralisation du carbone contenu dans le sol. Or, les mesures visant à accroître les stocks de carbone sont également complexes à mettre en oeuvre par les agriculteurs car elles demandent un engagement de longue durée et elles imposent des changements de pratiques… Difficulté encore accrue en raison des maigres possibilités de financement vu le prix dérisoire de la tonne de carbone. « Ces changements de pratiques permettront d’accroître le stock de carbone de quelques tonnes /ha pour une rétribution bien maigre et peu incitative de quelques dizaines d’euros », déplore le climatologue.

M. de N.

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