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Lettre ouverte à mesdames et messieurs les ministres et parlementaires: «Nous ne voulons plus nous taire!»

Nous devrions être fiers, nous agriculteurs, de pouvoir assurer à toutes et tous une nourriture de qualité, abondante et bon marché. Au lieu d’être récompensés de tous nos efforts tels que la réduction de l’usage des pesticides et des engrais, le respect de mesures agro-environnementales, la traçabilité etc., certains se permettent de désinformer la population en diabolisant l’agriculture d’aujourd’hui. Mais le temps est révolu où nous laissions salir notre profession sans réaction.

Temps de lecture : 9 min

La désinformation, le dénigrement de l’agriculture et de ses forces vives nous découragent alors que beaucoup d’entre nous, principalement les plus jeunes, croulent sous les dettes. Ceci n’est pas étonnant si on veut se rappeler que le prix de vente du froment s’affichait en 1960 à 200 €/tonne (8 fr/kg) alors qu’il s’élève aujourd’hui à 140 €/tonne !

Malgré l’évolution technique pourtant décriée, et avec l’érosion monétaire sur plus d’un demi-siècle, il ne faut pas être Newton ou Archimède pour comprendre la périlleuse situation financière que vit la génération actuelle. La nécessité d’un commerce équitable n’est plus l’apanage des pays du sud !

L’agriculture intensive d’autrefois

Ce qui était jugé bon avec les connaissances du moment

Il y a trois quarts de siècle, les chardons, les chiendents infestaient nos terres et bon nombre de villageois étaient occupés dans les fermes pour assurer le désherbage manuel. L’industrie se développant, la main-d’oeuvre a déserté la campagne, attirée par les salaires offerts dans les usines. C’est ainsi que les pesticides sont venus suppléer cette main d’oeuvre manquante. On s’en plaint aujourd’hui et on critique ceux qui ont fait avec les moyens et les connaissances de ce temps-là.

Les sols étaient acides et pauvres en éléments fertilisants. Des doses importantes d’engrais ont été employées. À l’époque, la société était contente de disposer des terres agricoles pour évacuer les scories, sous-produits des aciéries. Aujourd’hui, ce sont toujours nos terres qui encaissent les déchets venant des stations d’épuration d’eau. Les producteurs de légumes ne veulent pas ces boues chargées de métaux lourds, pourtant certifiées par la Région wallonne. Est-ce bien cohérent cela ?

L’agriculture raisonnée d’aujourd’hui: un rayon de soleil!

Comme tous, nous sommes attentifs à notre santé. Malgré tout, nous vivons au milieu des pollutions de toutes sortes occasionnées par l’industrie, le trafic routier, Tchernobyl, le tabac, les désodorisants, les conservateurs, les poudres à lessiver, et tant d’autres produits d’usage courant.

Est-il indécent de se demander si tout cela, faisant partie de notre quotidien, n’est pas bien plus nocif que les mini-traces de produits phytopharmaceutiques qui peuvent se retrouver dans nos aliments. Dans 97,4 % des cas, ces traces sont conformes aux normes admises, et mieux encore, pour 54 % des échantillons, les analyses montrent des niveaux de résidus de produits de protection des plantes (PPP) si faibles qu’ils ne sont pas quantifiables, selon l’Agence européenne de la sécurité des aliments (Efsa).

Mais il est tellement plus facile d’accuser les agriculteurs que de changer son confortable mais dangereux mode de vie. Malgré les précautions d’usage, nous sommes tellement plus exposés que la population quand nous manipulons et respirons ces PPP. Nous n’employons donc que le strict minimum de ceux-ci. L’agriculture raisonnée est là : l’emploi des mini-doses s’est généralisé, les techniques culturales et le matériel se sont améliorés grâce aussi à l’aide des chercheurs.

Comme le montre la figure 1 , les quantités appliquées de pesticides ont ainsi été progressivement réduites par 3 depuis le début des années ‘80.

Figure 1: évolution de la quantité de substances actives appliquées en culture betteravière, par tonne de sucre produit (source: Irbab).
Figure 1: évolution de la quantité de substances actives appliquées en culture betteravière, par tonne de sucre produit (source: Irbab).

Concernant la suppression des néonicotinoïdes, les essais de l’Institut pour l’amélioration de la betterave (Irbab) prouvent qu’en années à forte pression de jaunisse virale transmise par les pucerons, la perte de rendement peut aller de 40 à 60 %. Ces produits sont intégrés dans l’enrobage des semences de betteraves et chicorées. Ces plantes racines ne fleurissent pas chez nous et les abeilles ne les butinent donc pas. Plus que tous, nous sommes attentifs à la vie du sol et à sa fertilité. Le parlementaire Edmund Stoffels, dans un article paru il y a quelques semaine dans la presse quotidienne  : « Et si demain, plus rien ne poussait » désinforme le public et se permet de prendre les agriculteurs pour des sots qui détruiraient ainsi leur propre gagne-pain : le sol. Le respect de cette vie du sol nous a permis d’augmenter les rendements d’un tiers tant en froment qu’en betteraves alors que ce Monsieur fait référence à des scénarios catastrophes qui prédiraient l’inverse.

Quant à l’application d’engrais, grâce aux chercheurs – qui étaient autrefois bien plus libres pour leurs travaux qu’aujourd’hui –, elle consiste à apporter, après analyse, uniquement les éléments exportés par les récoltes ainsi que ceux qui seraient en déficit.

Si, aujourd’hui nous sommes fiers de figurer sur le podium des meilleurs agriculteurs de la planète, c’est aussi parce que, en betteraves et en froment, nous sommes parvenus à accroître les rendements tout en réduisant les doses d’azote minéral par tonne produite (voir figure ci-dessous).

Figure 2: évolution de la quantité d’azote minéral apporté en culture betteravière, par tonne de betteraves (source: Irbab).
Figure 2: évolution de la quantité d’azote minéral apporté en culture betteravière, par tonne de betteraves (source: Irbab).

Filière bio

Certains agriculteurs adoptent le mode de production bio. Celle-ci couvre 9,7 % des surfaces utiles en Wallonie. La possibilité d’employer des produits de protection des cultures y est plus réduite encore et très contrôlée.

Ce mode de culture pourrait être florissant si le consommateur accepte de rémunérer, à son juste prix, l’effort supplémentaire qu’il requiert. Pour prospérer, cette production devrait donc ne pas dépasser la demande afin ne pas être bradée et surtout ne devrait pas être concurrencée par des denrées, venant de l’étranger qui n’ont parfois de bio que l’étiquette.

Pour l’instant, les pouvoirs publics encouragent financièrement son développement, mais pour combien de temps encore ?

Zéro pesticide: réalité ou utopie ?

Celui qui souhaite s’approvisionner en légumes sans aucun pesticide trouvera, en se renseignant un peu, un maraîcher pour le servir. Cette production de « niche » est assurée par des gens aussi convaincus que courageux, employant souvent un maximum de main-d’oeuvre familiale.

Ce mode de culture convient pour les petits ou grands jardins et tout cela est très bien ainsi. Vouloir transposer ce modèle dans les plaines de Hesbaye, du Condroz et du Hainaut est évidemment utopique. Il a fallu le travail de deux générations pour obtenir des terres propres et ainsi nous permettre de ne plus employer que des mini-doses de PPP.

Attention de revenir un jour au point de départ avec des terres infestées de mauvaises herbes car n’oublions pas que certaines de ces plantes peuvent produire plusieurs milliers de graines chacune (cent mille graines pour le chénopode blanc). Si nous laissons nos terres se resalir, il faudra de nouveau augmenter les doses d’herbicides et tous nos efforts pour réduire leur emploi auraient été vains.

L’indépendance alimentaire…

Notre indépendance énergétique nous échappe déjà. En sera-t-il de même avec notre approvisionnement alimentaire ? Monsieur le ministre de l’Environnement, vous constaterez facilement que le béton couvre de plus en plus de terres cultivables, aussi prenez garde de réduire plus encore notre outil de travail en imposant davantage de bandes enherbées. La population souhaite-t-elle participer fiscalement à cela ?

Concernant l’Afsca, vous êtes bien placé, Monsieur Carlo Di Antonio, pour connaître son efficacité et sa sévérité envers notre profession. Avec la collaboration des agriculteurs qui participent à son financement, cet organisme doit garantir à notre population une alimentation saine. Un agriculteur belge qui serait pris à appliquer du glyphosate sur une culture destinée à l’alimentation aurait sa récolte détruite, serait condamné et perdrait ses subsides. Si un éleveur piquait un bovin aux hormones, il serait envoyé illico derrière les barreaux.

Malgré tous ces garde-fous, lors de l’assemblée de la Fwa, vous parliez angéliquement du « zéro pesticides ». Nous espérons que vous ne vouliez pas laver plus blanc, pardon plus vert que vert, dans le but de grappiller quelques voix aux écologistes qui, cette fois, pourraient être un peu plus prudents que vous.

… et le danger des marchandises importées

Paradoxalement, via le Mercosur, notre pays devrait importer 90.000 tonnes de viande ou plus encore. Quid de nos éleveurs et engraisseurs sinon leur mise à mort, quid des consommateurs, quid du bilan carbone (déforestation et transport)…

Nous vous voyons mal envoyer des contrôleurs dans les pays exportateurs pour garantir qu’un revenu équitable soit réservé aux paysans, que le bien être animal y soit respecté, que les antibiotiques ne soient pas incorporés dans l’alimentation animale et que les bovins ne soient pas piqués aux hormones ! Il en est de même pour les importations des sojas OGM traités au glyphosate.

Ces importations seraient une façon bien particulière de se soucier de notre santé. Rappelez-vous, Messieurs, cette affaire française du sang contaminé où les dirigeants avaient été déclarés : « Responsables mais pas coupables » Espérons que nous ne devrons pas vivre chez nous l’affaire « Responsables et coupables » suite aux problèmes de santé qui pourraient découler de ces importations douteuses ?

Nous ne voulons plus subir !

« Plus tard, il sera trop tard » comme dit si bien Monsieur Stoffels. Mais il est déjà trop tard pour Cockerill, Côte d’Or, Société Générale, Sabena… Qu’en sera-t-il d’un de nos derniers fleurons qu’est l’Agriculture si nous continuons à être harcelés ?

Mais le temps est révolu où nous laissions salir notre profession sans réaction. Il est temps que vous changiez de cible. Mais ce sera plus difficile de viser les quelques riches industries agroalimentaires qui polluent nos bons produits par des colorants, activateurs de goût, conservateurs, épaississants, gélifiants… Ce type de « pesticides » ne se retrouve pas qu’en traces exprimées en nano grammes dans leurs mixtures. Quant au « zéro pesticide » en agriculture, soyons réalistes, c’est une utopie aujourd’hui mais, via les mini-doses, nous travaillons tous les jours pour que ce concept puisse être approché par les générations suivantes. Un peu d’histoire pourrait vous aider tous à réfléchir afin que vous ne sombriez pas dans le populisme de certains « extrémistes environnementaux ».

Au milieu du 19esiècle, l’Europe a connu la plus grande famine de tous les temps, occasionnant 1 million de morts et autant de réfugiés. En cause: le mildiou. Heureusement, des produits phytopharmaceutiques ont été développé par des firmes spécialisées pour combattre cette maladie et restaurer l’approvisionnement de la population. À l’époque, les gens souffrant de malnutrition, auraient nommé les produits phytopharmaceutiques : « poudre miraculeuse » alors que notre population, souvent trop bien nourrie, se plait à décrier les pesticides.

« I have a dream : y a-t-il parmi vous, quelques grands Hommes ou Femmes courageux(ses) et sincères qui seraient fier(e)s de leurs agriculteurs, qui vanteraient la qualité de nos bons produits en assurant leur promotion plutôt que de laisser importer des aliments douteux et concurrentiels ou de céder à la démagogie ?

Merci pour votre attention et votre soutien.

Félix Trussart

, secrétaire du Ceta de La Mehaigne 6, rue du Cygne, 5380 Tillier.

Cosignataires: Les agriculteurs des Céta – Cercle d’étude de techniques agricoles – de la Mehaigne, de Perwez, de Héron, d’Eghezée, de Thuin, de Hesbaye Centre. Les agriculteurs des Comices de Jodoigne, de Namur Nord, de l’Entre-Sambre-et-Meuse, de la Hesbaye namuroise, de Basse Hesbaye (Liège), de Wavre-Perwez. L’association des planteurs APLI de Geer

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