Les chenilles, une solution gagnante pour les engins de récolte et les sols

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Historiquement, le dilemme en ce qui concerne le choix entre chenilles et roues sur les tracteurs agricoles s’est posé très tôt. Si la chenille, en métal à l’époque, a pu se révéler plus efficace en matière de motricité, la roue s’est montrée pendant plusieurs décennies beaucoup plus avantageuse en termes de polyvalence, de vitesse de déplacement et de confort. L’avènement du pneumatique a permis à la roue de supplanter très largement la chenille, qui n’était plus guère utilisée que pour de rares applications très particulières.

L’apparition de la chenille en caoutchouc a quelque peu rebattu les cartes, en procurant davantage de souplesse à ce mode de transmission du mouvement. Il ne vous a par ailleurs pas échappé que la solution chenillée est de plus en plus mise en avant sur un nombre croissant de stands dans les divers salons et foires ces dernières années. Si la chenille est longtemps restée une niche occupée par l’un ou l’autre tractoriste spécialisé ou des équipementiers indépendants, force est aujourd’hui de constater que beaucoup de constructeurs proposent des modèles à chenilles dans leur gamme de tracteurs, machines de récolte ou même matériels attelés.

Nous avons souhaité faire le point sur les raisons orientant les acheteurs vers cette solution en nous référant à l’un des leaders de ce marché, à savoir le constructeur allemand Claas. Pour ce faire, nous avons rencontré Hans Vanderhaeghen, spécialiste machines de récolte, et Vincent Cipers, spécialiste tracteurs, tous deux œuvrant pour la société Ag-Tec, importateur de la marque dans notre pays.

Une grande expérience des chenilles

Claas n’est pas novice en la matière puisque c’est en 1987 que la firme d’Harsewinkel présentait aux États-Unis la première moissonneuse-batteuse dotée de chenilles en caoutchouc. Il s’agissait d’une machine dont le châssis reposait sur deux chenilles. Cet équipement permettait de répondre aux problématiques de tassement du sol et de manque de motricité tout en s’affranchissant des contraintes inhérentes aux chenilles en acier (vibrations importantes, vitesse de déplacement très limitée, attaque agressive de la surface sur laquelle évolue la machine…).

Sept ans plus tard, en 1994, Claas faisait évoluer le concept en présentant le système de demi-chenilles Terra Trac : le pont avant de la moissonneuse-batteuse est pourvu de chenilles tandis qu’un essieu directeur conventionnel à roues prend place à l’arrière de la machine. Cette disposition a pour avantages de réduire les effets de ripage dans les virages, notamment en fourrières, mais aussi de diminuer la largeur de transport.

Ce système Terra Trac originel évoluera ensuite structurellement mais aussi au niveau de son système de suspension pour aboutir à celui équipant les moissonneuses-batteuses actuelles.

Animées par friction ou commandées par engrenages

Il existe sur le marché deux grands types de chenilles, qui se distinguent par leur principe d’entraînement : les chenilles animées par friction, mues grâce au frottement de la garniture de la roue motrice sur la face intérieure de la chenille, et celles commandées par engrenage. La surface dévolue à l’entraînement est supérieure sur une chenille à friction ; elle se limite aux dents en contact sur une chenille à engrenage. Ces dernières sont majoritairement de forme triangulaire.

L’entraînement par engrenage permet de manière générale d’éviter le glissement de la bande de roulement sur la roue motrice, notamment quand de la boue parvient à s’insérer entre les deux surfaces en contact. Les structures intérieures de la chenille à friction sont exclusivement consacrées au guidage de celle-ci alors qu’elles interviennent aussi dans la transmission du mouvement pour une chenille à engrenage.

Une chenille triangulaire, amenée à se courber autour de trois points d’inflexion (une roue motrice et deux galets), génère davantage de résistance qu’une chenille à friction ne se pliant que deux fois, ce qui peut se traduire par une différence de consommation de carburant. De plus, elle peut être sensible aux corps étrangers, à l’instar des pierres, qui pourraient s’immiscer au niveau de l’engrenage.

Améliorer la motricité, tout en ménageant le sol

Une chenille en conditions sèches réduit grosso modo le glissement de moitié par rapport à un pneu. La motricité de l’engin est donc considérablement améliorée. Ceci provient du fait que la surface au sol et le nombre de crampons simultanément en contact avec ce dernier sont plus élevés avec des chenilles.

Qui plus est, même si la machine chenillée est plus lourde que le même véhicule à pneus, l’importante surface de contact des chenilles avec le sol permet de réduire les dégâts liés à la compaction du sol : le tassement est plus prononcé à la surface mais s’estompe beaucoup plus rapidement, et est donc moins marqué en profondeur comparativement à un véhicule sur roues. Ces dommages peuvent dès lors être corrigés par un travail du sol plus superficiel, et donc moins coûteux.

En conditions humides, les chenilles tirent souvent leur épingle du jeu en raison de leur flottabilité générant une meilleure portance. Toutefois, elles peuvent aussi constituer, dans certaines situations, un handicap. Ainsi, les crampons parcourant le plus souvent des trajectoires droites peuvent ne pas se nettoyer correctement. Or, une fois les espaces entre les crampons remplis de boue, le glissement de la chenille sur le sol devient total.

Supporter le poids des engins de récolte…

« Il faut à ce sujet bien différencier l’emploi des chenilles sur un tracteur ou sur une machine de récolte », précise M. Vanderhaeghen. « En effet, les besoins sont différents en fonction du type de machine. Dès lors, les chenilles doivent être adaptées aux exigences liées à leur utilisation. En tracteurs, ce sont surtout les performances de traction qui sont recherchées. Ce n’est pas nécessairement le cas avec les moissonneuses-batteuses ou les ensileuses. »

L’un des principaux facteurs qui amène les clients à opter pour le système de chenilles Terra Trac sur les moissonneuses-batteuses Claas Lexion est d’ordre réglementaire : les machines deviennent de plus en plus imposantes et lourdes. Il faut pouvoir reprendre cette charge tout en ménageant le sol. « La solution peut résider dans une monte de pneumatiques larges mais ces derniers posent problème sur la route, à cause du dépassement du gabarit routier autorisé. Les chenilles pallient cet inconvénient : plus étroites mais plus longues, elles présentent la surface nécessaire pour supporter efficacement le poids de la machine tout en conservant un encombrement acceptable et conforme pour les déplacements routiers ».

… et gagner en stabilité

Un autre atout des chenilles sur une machine de récolte relève sans nul doute de la stabilité qu’elles confèrent à la machine, non seulement en dévers, mais aussi lors du franchissement de creux ou de bosses, qui ne se ressentent quasiment pas au passage de la chenille, à l’inverse du pneu. Les voies de pulvérisation en forment un exemple typique.

« Et cet aspect est particulièrement important », poursuit M. Vanderhaeghen. « Qu’il s’agisse des barres de coupe pour céréales ou des becs pour la récolte du maïs, ces équipements deviennent de plus en plus larges. Le moindre débattement du châssis peut se traduire par des amplitudes de mouvement importantes aux extrémités de l’outil frontal. Les chenilles, par leur stabilité, procurent un bien meilleur guidage de ces outils. »

Sur une chenille Claas Terra Trac, la roue motrice, le galet et les rouleaux sont suspendus individuellement. Elle bénéficie de la sorte d’un meilleur suivi des irrégularités du sol.
Sur une chenille Claas Terra Trac, la roue motrice, le galet et les rouleaux sont suspendus individuellement. Elle bénéficie de la sorte d’un meilleur suivi des irrégularités du sol.

L’aspect lié à la portance évoqué plus haut revêt aussi toute son importance : les moissonneuses-batteuses munies de chenilles sont à même de poursuivre la récolte du maïs grain lorsque les conditions se dégradent, tandis que les machines à pneus sont contraintes de s’arrêter. « En fonction des conditions météorologiques de l’année, les chenilles peuvent littéralement sauver une récolte. Le type de sol peut également influencer la décision d’un acquéreur. En Flandre notamment, des agriculteurs ou entrepreneurs évoluant sur des terrains à faible portance s’orientent vers des machines chenillées ».

Il est aussi intéressant de noter que Claas permet la monte de grandes roues à l’arrière de la moissonneuse-batteuse (jusqu’à 1,65 m de haut) réduisant la résistance au roulement et diminuant aussi fortement le risque d’orniérage généré par le passage de ces roues dans les traces des chenilles. Un essieu pendulaire à quatre points d’articulation a également été développé autorisant, en plus du mouvement d’oscillation d’un essieu arrière traditionnel, un mouvement latéral procurant une plus grande souplesse et un plus petit rayon de braquage.

Terra Trac, un système qui évolue

En plus de 25 années d’expérience, Claas a fait évoluer son concept Terra Trac et l’a perfectionné. Ainsi, le choix s’est porté sur un entraînement par friction par l’intermédiaire d’une roue motrice et d’un galet de 95 cm de diamètre. Les dimensions importantes de ces éléments concourent à augmenter la surface de contact avec la chenille et, de ce fait, à accroître les capacités motrices de l’ensemble. De plus, cela réduit les possibilités d’enfoncement de la chenille dans le sol en conditions difficiles et permet à la machine de se sortir plus facilement des ornières et autres creux.

« C’est un avantage certain, d’autant que le point de support de la chenille est positionné dans le même plan que les centres de la roue motrice et du galet. Cette conception brevetée rend la transmission du mouvement plus fluide, sans solliciter de manière excessive un élément par rapport à un autre. C’est moins le cas avec une chenille triangulaire dotée de galets de plus petites dimensions : la roue motrice fixée plus haut a une tendance naturelle à vouloir passer au-dessus du galet, surtout lorsque celui-ci « pique » dans un creux. »

Il faut également ajouter que le système Terra Trac dispose d’une suspension hydropneumatique performante, par laquelle la roue motrice, le galet et les rouleaux sont suspendus individuellement. « Cela confère à la moissonneuse-batteuse encore plus de stabilité, notamment en virages, au conducteur davantage de confort et aux chenilles un suivi parfait des irrégularités du sol pour maintenir au maximum le contact avec lui et procurer des capacités de traction renforcées. La tension des chenilles est aussi surveillée en permanence par le système électronique qui avertit le conducteur en cas de chute de pression », commente M. Vanderhaeghen.

Cette suspension permet d’ajuster la hauteur de la machine sur une plage de 12 cm, ce qui peut s’avérer très confortable pour certaines opérations de maintenance ou, le cas échéant, pour son chargement sur un camion voire pour se dégager en conditions extrêmes lorsque la garde au sol de la machine devient limitante.

Convertir un engin à roues en machines à chenilles

Outre les solutions commercialisées directement par les constructeurs, une moissonneuse-batteuse à roues peut être convertie en machine chenillée par substitution des roues avant. Il existe à ce propos plusieurs équipementiers proposant ainsi la monte de chenilles adaptables sur différents types de véhicules, qu’il s’agisse de machines de récolte ou de tracteurs.

Le budget à y allouer peut être variable en fonction de la firme et du produit choisis mais aussi des adaptations à mettre en œuvre sur l’engin. En effet, la machine à roues n’a à l’origine pas été conçue pour accueillir un train de chenilles et des modifications doivent être entreprises pour que celui-ci puisse y prendre place comme, par exemple, déplacer le réservoir, le marchepied… Il est nécessaire de prendre en compte l’ensemble de ces coûts annexes à l’achat proprement dit des chenilles lorsque pareil investissement est envisagé.

Un autre aspect à prendre en considération, surtout lorsque le véhicule est amené à se déplacer longtemps et souvent sur la route, est la vitesse maximale d’avancement. Certaines chenilles limitent la vitesse d’avancement à 15 km/h alors que les véhicules chenillés les plus rapides atteignent 40 km/h.

Aussi sur les ensileuses, pour préserver les prairies

En 2019, Claas a remporté la plus haute distinction au Sima lors de la présentation de la Jaguar Terra Trac, la première ensileuse chenillée. « Dans ce cas aussi, il s’agit d’une solution spécifique développée pour l’emploi sur une ensileuse », complète M. Vanderhaeghen. « Même s’il se base sur le concept Terra Trac déjà éprouvé, ce train de chenilles a été repensé pour répondre aux exigences bien particulières des travaux d’ensilage. »

« Si le respect des sols reste un objectif primaire, il fallait aller plus loin car il faut également préserver l’intégrité du couvert végétal ». Il est effectivement inenvisageable de travailler avec une ensileuse arrachant l’herbe d’une prairie dès qu’elle aborde un virage serré.

Ce sont les mêmes vérins que ceux du système de suspension qui permettent de relever la partie avant de la chenille dans les virages.
Ce sont les mêmes vérins que ceux du système de suspension qui permettent de relever la partie avant de la chenille dans les virages.

« Claas a adopté une solution intelligente permettant de relever le galet antérieur de la chenille en fonction de l’angle de braquage des roues arrière. Ce galet peut ainsi se relever de 10 cm, ce qui réduit d’un tiers la surface au sol de la chenille et préserve la couche végétale superficielle des effets de cisaillage et de ripage », continue-t-il.

« Ces chenilles, autorisant une vitesse de 40 km/h, procurent davantage de flottabilité et de capacité de traction, ce qui peut s’avérer déterminant en conditions difficiles, lors de la récolte automnale du maïs par exemple. De plus, comme pour les moissonneuses-batteuses, elles apportent à l’ensileuse une plus grande stabilité et donc une meilleure maîtrise des outils frontaux, même les plus larges. »

N.H.

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