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Sacré Charlemagne!

« Qui a eu cette idée folle, un jour d’inventer l’école ? ».

La petite chanson espiègle de France Gall n’a guère pris de rides en cinquante-six ans ! Elle trotte encore parfois dans la tête des plus anciens, surtout à cette époque de l’année, synonyme de rentrée des classes. Il faut dire que l’on passe aujourd’hui de nombreuses années sur les bancs de l’école : minimum quinze, et bien plus si affinité ! Cette longue période d’enseignement laisse toutes sortes de souvenirs très diversifiés : du plaisir, de l’ennui, de la camaraderie, des disputes, des réprimandes, des félicitations, des découvertes, de la passion, des déceptions, des vexations, des victoires, et surtout des apprentissages. Mais le plus important n’est-il pas « d’apprendre à apprendre » ? Cette faculté devrait en principe s’acquérir grâce à un cursus scolaire adéquat ; elle constitue un atout fondamental en 2020, en agriculture et partout ailleurs !

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« École » semble rimer avec « agricole », et pourtant… Il existe une sorte de désamour entre l’enseignement et les agriculteurs. Les cultos n’aiment pas vraiment les intellos, et c’est peu de le dire. À quoi bon étudier tout un fatras de choses inutiles, alors que la meilleure des écoles pour être fermier n’est autre que la ferme elle-même ? Toutes ces années d’enfance et de jeunesse, passées dans les salles de classe, sont vécues trop souvent par les futurs agriculteurs comme un interminable tunnel d’ennui où l’on crapahute en rampant. Le vrai travail, en tracteur dans les champs ou en salopette dans les étables, est mille fois plus exaltant ! Dans l’imaginaire utilitariste paysan, le fait d’être assis derrière un bureau, un bic à la main, un livre devant les yeux, un clavier d’ordinateur sous les doigts, est une occupation de fainéant, n’ayons pas peur des mots. C’est ce que l’on pensait et affirmait haut et clair quand j’étais jeune. C’est encore dit aujourd’hui -mais tout bas pour ne pas fâcher les contrôleurs !- en râlant, car les innombrables tâches administratives ont emprisonné les fermiers entre des murs de formulaires à remplir, et ils rechignent devant un ouvrage qu’ils trouvent désespérément fastidieux et déprimant. Ils refilent la patate chaude à leur épouse, à leur gamin.e « plus malin.e », ou à un conseiller agricole soigneusement caressé dans le sens du poil.

À 18 ans, j’ai fait rigoler bien des gens du métier, quand j’ai décidé d’être agriculteur, après avoir suivi des études de sciences-math. Trigonométrie, calcul d’intégrales, géométrie dans l’espace, algorithmes… : quelles bêtises ! Dissertations, analyses de romans : quelles absurdités ! Anglais et néerlandais : le comble de la futilité ! Ah, si j’avais appris à souder, à bricoler, à réparer un moteur, à monter un circuit électrique, à maçonner, c’eût été bien plus profitable pour pratiquer le complexe métier d’agriculteur ! Mes parents et mes amis avaient tout à fait raison, et tort à la fois… Au fil de ma carrière, mon profil de stupide « intello » m’a beaucoup servi : pour calculer mes dépenses et mes rentrées, pour lire et m’instruire par exemple dans un journal comme le Sillon Belge, pour effectuer toutes sortes de formalités et apprivoiser l’outil informatique…

«  À l’heure d’aujourd’hui , me disait un voisin agriculteur, on gagne bien plus d’argent assis derrière son bureau que juché sur son tracteur. Compter ses sous et lire ses factures, planifier ses investissements, gérer les déclarations PAC, optimiser les demandes d’aides, calculer les rations et les fertilisations, etc, revêtent en 2020 une importance croissante, si l’on veut garder en main son exploitation, sans laisser d’autres personnes s’en occuper. Des gens qui vous donnent des drôles de conseils, et qui, une fois sortis de chez vous, se fichent pas mal de savoir si vous allez tirer ou non le diable par la queue. »

L’avis tout personnel et bien tranché de ce monsieur souligne à quel point il est fondamental pour nos enfants, pour nos jeunes filles et jeunes gens, d’apprendre un maximum de matières, de diverses natures, et de se les approprier au mieux. Peu importe la filière scolaire empruntée, le plus important pour eux est de rester conscients qu’ils jouent, tout au long de leur parcours scolaire, leur existence entière et celle de leurs proches. Tout est bon à prendre : la mécanique, l’agronomie, la littérature, les sciences et les maths. Et pourquoi pas des langues étrangères ? N’est-il pas profitable et déterminant, de pouvoir communiquer avec des clients néerlandophones ou germanophones, si l’on tient un gîte à la ferme, ou un commerce de produits du terroir ?

Tout au long de sa carrière professionnelle, l’idéal est de rester un éternel écolier, toujours à l’affût d’apprentissages, de nouvelles expériences ; d’être ouvert à notre monde en perpétuelle mutation ; de se sensibiliser à des défis inédits comme les changements climatiques ou la digitalisation universelle. L’école n’est pas seulement ce bon vieil ascenseur social où nous poussaient nos parents, c’est surtout une formidable opportunité de se forger un esprit toujours apte à s’adapter, quels que soient les changements et les évolutions de notre métier.

Finalement, inventer l’école n’était pas une idée si folle… Sacré Charlemagne !

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