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Se nourrir, sourire, et puis tant pis

Parler d'alimentation est un sujet fort couru! Celle-ci nous concerne au premier chef, car elle repose en couches successives sur l'agriculture, depuis les aubes lointaines où les hommes -surtout les femmes!!- du Néolithique ont enfin compris combien il serait judicieux de cultiver la terre afin de faire pousser sa nourriture, et d'élever des animaux au lieu de les courser bêtement dans les forêts et la savane. Trouver de quoi manger reste sans conteste le plus grand souci de l'humanité. Les gens ne songent qu'à cela, au tréfonds de leurs pensées, du lever au coucher, où qu'ils vivent et où qu'ils aillent!

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Nous sommes d'ailleurs constitués de ce que nous mangeons, qu'on le veuille ou non. La nourriture est omniprésente dans nos vies et guide beau nombre de nos pas. Pourtant, les systèmes alimentaires souffrent de nombreux dysfonctionnements, souvent imputés à tort à la base agricole... Chaque 16 octobre est déclaré «Journée Mondiale de l'Alimentation», censée remettre les choses à plat et réfléchir sur nos façons de manger et de produire la nourriture. Elle foisonne d'articles de presse et de discours souvent répétitifs, émaillés tout de même parfois de scoops décoiffant!

Ainsi, de manière fort convenue, la FAO et l'ONU reviennent chaque année sur les chiffres de la faim dans le monde, tragiquement banals, scandaleusement récurrents. En 2021, 811 millions d'êtres humains vivent encore la faim au quotidien, en souffrent horriblement et en meurent! Cinq milliards d'individus, sur les 7,8 qui peuplent notre planète, se nourrissent très mal: trois milliards sont carencés en nutriments et trop maigres, tandis que deux milliards sont trop gras car ils mangent trop. Restent environ 2,8 milliards à peu près correctement nourris, soit une personne sur trois environ. Le bilan n'est pas terrible... Si nous nourrissions nos animaux de cette façon, nos élevages seraient très vite dans un état lamentable! La FAO reconnaît dès lors une faillite générale des systèmes alimentaires, dans nos manières de produire, transporter, transformer, distribuer, partager et consommer. S'y ajoutent les impacts désastreux sur le climat et la biodiversité. Rien de nouveau sous le soleil de Satan...

Le côté préchi-précha de toutes ces déclarations résonne comme le murmure soyeux d'une gentille petite cascade: elles rentrent par une oreille et ressortent par l'autre. La faim dans le monde ne remplit qu'un petit coin d'ombre dans le décor de nos vies. Quand elle couvrit en 1963 le procès du criminel nazi Eichmann en Israël, la philosophe Hannah Arendt parla de la «banalité du mal». Ce concept s'applique parfaitement au comportement des puissants de ce monde envers les affamés, où toute forme de culpabilité est gommée par des considérations économiques et politiques. Nous-mêmes, par notre inertie et notre fatalisme, cautionnons sans trop d'état d'âme les inégalités scandaleuses dans le partage des richesses et surtout dans la distribution de la nourriture. Notre ressenti est consternant: aussi horrible soit-il, ce qui se passe dans un ailleurs lointain secoue difficilement nos consciences.

Par contre, un problème géographiquement proche nous met aussitôt en alerte! Ainsi, j'ai failli tomber de ma chaise en lisant un article consacré à une enquête menée en Flandres par VTM, sur la nourriture servie dans les milieux hospitaliers. Un test a été mené sur dix-neuf personnes pendant plusieurs semaines. Neuf se nourrissaient normalement, avec des aliments frais, préparés comme «à la maison». Les dix autres cobayes reçurent uniquement des repas servis dans des hôpitaux. Au bout de deux semaines, les dix sujets mis au régime hospitalier souffraient déjà d'apathie et d'une perte marquée de l'appétit. Ils avaient déjà perdu un kilo et demi de masse musculaire! Les niveaux de fer dans le sang avaient chuté de manière spectaculaire, tandis que leur taux de cholestérol restait comparable à celui du groupe témoin. Il s'agissait de sujets sains, chez qui la carence en protéines de qualité avait provoqué cette étonnante perte musculaire. Les repas hospitaliers sont préparés dans des firmes du type «Sodexo». Celles-ci ravitaillent également les collectivités: écoles, cantines d'entreprises, etc... L'alimentation industrielle, bourrée de calories et de protéines peu qualitatives et bon marché, ne nourrit pas son homme, c'est bien connu. Pourquoi la sert-on dans les hôpitaux et le écoles, si ce n'est pour des raisons économiques, afin de boucler des budgets publics trop serrés?

Les gens se nourrissent un peu n'importe comment, sans vraiment s'en rendre compte, en fréquentant les fast-food, leurs lieux de travail, les restaurants, les supermarchés. Nous digérons les aliments, et ceux-ci finissent par devenir nous. Les mauvaises graisses se fixent dans nos cerveaux ramollis; les protéines déséquilibrées nous fabriquent des muscles et des tendons mollassons; les conservateurs, le sel et toutes les crasses se fourrent partout dans notre corps. L'idéal serait de manger toujours des aliments frais et variés, dans le meilleur des mondes. Mais celui-ci n'existe pas, de toute évidence, et chacun doit composer avec ses réalités, son métier, sa famille, ses rentrées financières, l'endroit où il vit. Autrefois, les gens des villes pouvaient voir pousser leurs légumes autour de leurs localités, dans des champs cultivés par des maraîchers locaux. Les rapports avec l'alimentation ont évolué, de toute évidence vers un pire, à l'heure même où on demande aux agriculteurs de produire le meilleur. Quel meilleur? Le meilleur nutritif, ou le meilleur marché transformé industriellement?

On se nourrit, on sourit, et puis tant pis, tandis que tant d'autres meurent de faim...

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