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Un autre monde

En cette semaine du 1er au 9 juin 2019, tout le monde il est bio, tout le monde il est gentil ! L’Apaq-W a mis les petits plats (bio) dans les grands pour mettre à l’honneur l’agriculture biologique, et une seconde vaguelette verte, après celle des élections, est venue baigner les orteils des citoyens consomm’acteurs. À l’heure d’aujourd’hui, il est vrai, la plupart des gens désirent garnir leur assiette d’un maximum de produits bio, dans la mesure de leurs possibilités financières et des disponibilités locales. Le mot « pesticide » est devenu synonyme de «  poison » et son image associée n’est autre qu’une tête de mort, comme celle que l’on trouve sculptée sur les stèles mortuaires des 18e et 19e siècles. La question ne semble même plus se poser, dans l’esprit des bonnes gens : il faut absolument supprimer les herbicides, fongicides et tous ces mots (tous ces maux) en « cide ». Mais dans la vraie vie, rien n’est ni tout blanc, ni tout noir. La réalité est infiniment plus complexe…

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« Je rêvais d’un autre monde, où la Terre serait ronde, où la lune serait blonde, et la vie serait féconde. », chantait le groupe Téléphone. Il nous arrive, à toutes et à tous, de rêver d’un autre monde : où il ferait toujours beau, ni trop froid, ni trop chaud, où les gens seraient gentils, sans violences guerrières, sans catastrophes naturelles, sans maladies, sans famine ni épidémie, sans pauvres exploités et misérables, sans riches égoïstes et arrogants, sans donneurs de leçons, sans manipulateurs, sans pollution, sans réchauffement climatique, sans produits chimiques, sans drogues ni médicaments, sans pesticides ! « Je rêvais d’une autre Terre, qui resterait un mystère, une Terre moins terre à terre ». Hélas, les délires oniriques s’envolent en fumée dès qu’on retrouve un brin de lucidité… « Je marchais les yeux fermés, je ne voyais plus mes pieds. Je rêvais réalité : ma réalité m’a alité ». Dur dur ! Le monde est imparfait, et notre existence n’est qu’un entrelacs de plaisirs et de douleurs, de bonheurs et de malheurs. Le Destin nous adresse tantôt des sourires, tantôt des grimaces ; il faut tout accepter et agir au mieux pour savourer les uns et supporter les autres. Rêver d’un monde bio et « parfait », d’une agriculture sans pesticides, constitue sans aucun doute une utopie vers laquelle il faut tendre, mais dans un effort commun, sans que tout le boulot n’incombe aux seuls agriculteurs !

Que chacun balaye devant sa porte, et la rue sera propre ! Par exemple, -j’en ris et j’en pleure encore ! –, nous avons participé hier à une petite animation organisée dans le cadre de la semaine bio. Elle avait lieu auprès d’une école primaire et maternelle, jouxtée par une grande pelouse enherbée où jouent les enfants en été, entourée d’une belle clôture en treillis plastifié, laquelle est désherbée à son pied sur tout son périmètre, sur une largeur de 50 cm, avec je ne sais quel herbicide total. Du glyphosate ? Vous savez comment sont nos petiots : ils grimpent aux barrières, s’agenouillent, grattouillent, chipotent, portent les doigts à leur bouche. Oups ! Et là, qui sont les empoisonneurs ? Pas les agriculteurs !

Comment rester crédibles, dans le chef de certains parmi nos responsables publics, pharisiens donneurs de leçons, lorsqu’ils prônent l’agriculture bio et fustigent les agriculteurs empoisonneurs ? N’est-il pas complètement surréaliste de servir à la cantine de l’école des repas bio, lors de la semaine du même nom, pour marquer le coup et se « verdir » aux yeux de ses électeurs, et dans le même temps désherber les abords de ses plaines de jeux à l’aide de ces prétendus horribles, immondes, détestables pesticides ? On appelle cela de l’hypocrisie, ou de l’inconscience, ou de la bêtise à l’état pur. « Faites ce que je dis ; ne faites pas ce que je fais. ».

Pour bâtir un autre monde, un monde sans pesticides, il faudra dépasser le stade des discours, des disputes de bac à sable entre politiciens, pour entamer une refonte en profondeur de notre agriculture. Le modèle ultra-libéral a montré ses limites, ses effets dévastateurs sur nos sociétés humaines et sur notre planète. L’agriculture industrielle nous a été imposée, avec ses bons et ses mauvais côtés, avec sa formidable efficacité et ses dérives destructrices, sa capacité à nourrir des peuples et à en affamer d’autres, son insouciance criminelle à saccager des écosystèmes naturels. Il faut toujours que l’être humain exagère, qu’il joue à l’apprenti-sorcier avec les nouveaux jouets qu’il a inventés : ses engins mécanisés, ses semences et ses animaux sélectionnés, ses engrais, ses produits phytopharmaceutiques appelés « pesticides »… Il n’est jamais content, jamais rassasié, et les agriculteurs n’en font jamais assez. Notre monde est étranglé par un serpent qui se mord la queue, tout simplement.

Le bio finira-t-il par s’imposer ? Son chemin semble s’étirer vers l’infini. Le meilleur pour le plus grand nombre signifie souvent le pire pour une minorité, les paysans en font les frais chaque jour que dieu fait. « Oui, je rêvais d’un autre monde, et la Terre est bien ronde, et la Lune est si blonde. Dansent les ombres du monde. »

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