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Où vont nos jeunes?

« Une ferme sans successeur, c’est comme une vieille fille dont personne n’a voulu ! ». Ces mots sont durs, abominablement sexistes. Ils illustrent le manque de délicatesse et l’égarement d’un ami qui les a prononcés devant moi, très déçu de n’avoir aucun de ses enfants amoureux de l’exploitation familiale, et désireux de la reprendre. Au final, c’est toujours un crève-cœur, même si certains fermiers sans continuateur affichent un soulagement de façade, « contents » de voir leur fiston ou leur fille échapper aux mille et un soucis qui ont jalonné leur propre vie. Au fond d’eux-mêmes, ils ne sont pas heureux et se demandent : « Qu’est-ce que j’ai raté dans leur éducation, pour qu’ils fuient le métier comme la peste, comme s’ils risquaient d’être contaminés et placés à vie en quarantaine ? ».

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En vérité, le virus de l’agriculture est aussi contagieux qu’un corona gentil, à sa façon. Il se refile de parents à enfants, le plus souvent. Avec nos petits gars, le courant passe bien, et l’enthousiasme est communicatif. Les photos des bambins réjouis dans « Notre galerie de portraits » du Sillon Belge, expriment à quel point ils sont épanouis et heureux au milieu des animaux, sur les tracteurs ou dans les champs. La belle histoire commence comme un conte de fée, au début. Les marmots sont fascinés par les petits lapins, les agneaux, les veaux, les poules et les poussins ; les stages (de vacances ou scolaires), les anniversaires à la ferme et autres animations, connaissent un succès fou, jamais démenti. Les enfants aiment tous la vie à la ferme, mais cet amour inconditionnel se délite au fil des ans. La magie opère beaucoup moins chez les adolescents, distraits par d’autres sirènes séductrices : études, scoutisme, jeux vidéo, sorties entre copains (souvent arrosées, parfois enfumées), petit(e)s ami(e)s, concerts, football et autres sports… À partir d’un certain âge, le ravissement n’opère plus : l’agriculture ne vend plus du rêve à la plupart de nos jeunes gens, à quelques rares exceptions près.

Le constat est sans appel, désespérant. Est-ce notre faute à nous, les parents ? Sans doute exprimons-nous, sans nous en rendre compte, une forme de rejet de notre métier. Les enfants sont sensibles à notre langage non verbal, car celui-ci traduit les moments de doute, de mal-être, de fatigue, de stress intense. Certaines attitudes ne trompent pas : des silences, des moments d’exaspération, d’épuisement moral. Une mine renfrognée, l’œil éteint, le dos voûté quand les charges émotives sont trop fortes. L’agriculture a perdu son romantisme, son humanité, sa connexion avec un art de vivre sage et épanouissant. En d’autres mots, les fermiers ne s’amusent plus, et ce n’est pas drôle pour nos enfants de voir leurs parents s’épuiser dans un combat sans fin, pour des résultats décevants. À leur grand désarroi, les jeunes filles observent leur maman vieillir avant l’âge, perclue de douleurs et désabusée, frustrée par le manque de distractions et l’absence de reconnaissance familiale et sociétale ; les garçons ne reconnaissent plus leur père en cet homme bourru, soucieux, abruti par le travail, tantôt exalté, tantôt apathique, qui ne leur parle plus avec gaieté de son métier, mais ne cesse de geindre et maudire tous ceux qui l’ennuient, les administrations tatillonnes et les commerçants voraces.

Pardonnez-moi : je force le trait, noircis le tableau à dessein afin d’expliquer le désengagement, le désenchantement de la jeune génération. Si ce n’est pas notre faute, de la vie que le monde moderne nous a infligée, le problème viendrait-il des jeunes eux-mêmes ? « Ils ont perdu le goût de l’effort, et ne songent qu’à s’amuser ! », déplore mon ami sans successeur. « À la télé, en ces jours de virocratie, on ne parle plus que de ça, de ces « pauvres » gamins et gamines qui ne peuvent plus sortir à cause du Covid. Une génération perdue, disent-ils ! Vaut mieux entendre ça que d’être sourd ! À leur âge, j’étudiais l’agriculture au pensionnat d’une école chrétienne, autant dire au bagne, avec les Frères Maristes comme argousins. Aujourd’hui, ils sont pourris gâtés, voilà tout… Où vont nos jeunes ?  ».

Le pauvre vieux, il était vraiment remonté ! Sans doute attache-t-il trop d’importance à sa ferme, en vrai paysan qu’il est, du bout de ses souliers boueux jusqu’à ses cheveux hirsutes grisonnants. Il n’y aura pas de septième génération d’une même famille sur sa trop belle exploitation, sauf miracle. « Et si ça tombe, les gamins le regretteront dans quelques années ! La pierre est dure partout. Ils auront d’autres ennuis dans leur boulot et ne seront pas plus heureux que moi. Mais ce sera trop tard pour revenir à la ferme, quand elle sera démantelée. Un abandon sans retour… », a-t-il conclu.

Où vont les jeunes ? Au moment des grands choix, ne lâchent-ils pas trop facilement la proie pour l’ombre ?

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