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Betteraves sucrières: stop ou encore?

Sans être betteravier, quand on a connu le secteur de près, on n’est pas insensible à son « devenir ».

La betterave, c’est une si longue histoire. Avant elle, au temps des caravelles, le sucre venait de loin. Il était rare et cher. Je n’étais pas là quand, en 1747, Marggraf découvrit que la betterave (fourragère) contenait aussi du sucre, ni quand Achard, en 1799, présenta au roi de Prusse, le premier pain de sucre obtenu par son extraction. Je n’étais toujours pas là, en 1875, lorsque notre pays comptait 164 sucreries. Il y en avait 5 à moins de 5 km de chez moi.

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Je n’ai pas non plus vécu l’après-guerre, au temps des semences multigermes quand la jeunesse était réquisitionnée pour « placer » les betteraves à la rasette, repasser une seconde fois pour désherber dans la ligne, puis, à l’automne, les déterrer à la fourche, couper les collets, charger les racines à la main dans les tombereaux pour les sortir du champ et rebelote ensuite dans les wagons pour la sucrerie.

Cependant, j’ai pu suivre tout ce que l’évolution des techniques a pu apporter par la suite :

– les semences monogermes semées directement au bon écartement ;

– l’enrobage des semences avec une quantité infime de fongicide et d’insecticide ;

– la réduction des doses d’herbicides uniquement par une meilleure utilisation de ceux-ci (-50 %) ;

– La réduction des engrais, également par une meilleure gestion de leur utilisation. (-50 %) ;

– la lutte contre les parasites par la tolérance génétique (nématode, rhizomanie) ;

– l’augmentation de la productivité (richesse et rendement) : + 50 % en 25 ans.

Je me rappelle qu’il y a 25 ans, JF Misonne, directeur de l’IRBAB, avait déjà calculé qu’un hectare de betteraves fournissait, grâce à la photosynthèse, de l’oxygène pour 60 personnes, bien plus qu’un hectare de forêt. Plus on produit de la matière sèche pour les pulpes et le sucre, plus on capte du CO2 et plus on libère de l’oxygène. Une agriculture efficace permet justement de laisser de la place pour la forêt, la biodiversité, des zones de détente pour nos citadins.

Je me souviens de la mise en place des quotas. Tout le monde n’était pas d’accord. Quant à la fin des quotas, tout le monde l’a déplorée. C’était 20 ans après la réforme de la PAC qui avait ramené le prix des céréales au niveau mondial. J’ai toujours salué l’organisation d’un secteur assez uni que pour résister aussi longtemps à la mondialisation.

Ces dernières années, on est passé de 100.000 à 60.000 ha. Le prix à la tonne de betterave s’est réduit de moitié et le nombre de sucreries a fondu comme neige au soleil.

Las, les plus radicaux des écologistes s’acharnent à leur tour contre l’insecticide, pourtant tellement faible dans l’enrobage, alors même que les scientifiques défendant les abeilles savent et disent qu’ils se trompent de combat. Avec le futur renouvellement des agréations d’herbicides, ils se trouveront un nouvel os à ronger. Ces inconscients se moquent de savoir que le sucre viendrait alors exclusivement de la canne, provoquant ainsi de bien plus grands dommages écologiques dans le Sud.

J’espère ne jamais voir l’Europe se tirer une balle dans le pied en les écoutant. Mais dans la nature, tout est cyclique. Les crises, par définition, sont aussi porteuses de solutions nouvelles. On veut « plus de terroir ». On dit qu’il faut assurer un revenu correct au producteur. Et c’est dans ce contexte qu’on voit apparaître un projet « coopératif » qui va dans ce sens.

Est-ce une nouvelle image de l’agriculture qui va en émerger : plus combative, plus rassembleuse, plus responsable ? J’ai l’impression que l’enjeu de la démarche, ce n’est pas 15.000 ha de betteraves en plus ou en moins mais toute une agriculture qui hésite entre « avancer ou reculer ».

Le 6 février, Marianne Streel, dans son discours d’investiture à la FWA, disait : « Certains, et même parfois nous, tentent d’opposer les secteurs, d’opposer les agriculteurs, les modes de production, les modes de commercialisation. On polarise l’agriculture, on la divise. Il n’y a pas une bonne et une mauvaise agriculture familiale. Il n’y a pas lieu de les opposer ou de les diviser. »

Alors oui, j’espère qu’on parlera de ce temps comme d’une époque où les agriculteurs ont repris en main leur destin, ont remis « l’église au milieu du village », où leurs choix sont enfin compris et respectés. Au-delà des betteraviers, c’est toute l’agriculture qui doit choisir entre l’abandon ou la combativité.

JMP

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