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Camping-piercing

Ardenne, merveilleuse terre de tourisme ! Ce slogan, aussi vieux que les premières roulottes camping-cars, est ressorti ces dernières semaines à la faveur de la pandémie Covid-19, laquelle limite les déplacements des aficionados inconditionnels de vacances. Fini d’épater les collègues avec des déplacements aux quatre coins du monde, vidéos et photos à l’appui ! Les Belges amateurs de grands voyages devront se contenter de l’Europe, et surtout… de notre pays-confetti ! Deux destinations opposées ont la cote chez nous : les plages de la Mer du Nord, et les hauts plateaux de l’Ardenne. Nos campagnes vont-elles être envahies par des hordes de touristes ?

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En fait, nous autres agriculteurs avons été très peu impactés par l’enfermement général, dans notre vie de tous les jours. Le confinement, dont on a fait tout un plat, ne nous a guère concernés. Enfin si, puisque nous le vivons quotidiennement ! Nous sommes confinés dans nos fermes tout l’an durant, et depuis des dizaines d’années, avec très peu de sorties à l’extérieur. D’ailleurs, le mot « vacances » ne figure pas dans notre dictionnaire. J’ai vu une seule fois la mer dans ma vie, quand j’avais sept ans, en excursion scolaire à Blankenberge. Elle était grise et son eau sentait le vieil abreuvoir oublié en été ; alors, me précipiter en slip pour y faire trempette, ou bronzette sur le sable à odeur de chou cuit, très peu pour moi ! Je préfère mille fois mon Ardenne : « Les arpents verts, les champs, les bois, les chemins creux sont faits pour moi » , comme dans la chanson. Pour autant, chacun ses goûts, disait la truie en mangeant un (…).

Ceci dit, je comprends parfaitement les motivations des citadins des grands centres urbains ! Leur univers minéral, oppressant et froid, encombré et pollué, bruyant et trépidant, vomit chaque week-end ou jour de congé son flot de « fuyards », désireux de prendre un bol d’air frais dans un endroit béni où la nature leur propose tout ce qui leur manque : les vastes espaces, les chants d’oiseau, les murmures des ruisseaux et le bruissement du vent dans les branches… En Ardenne, ils sont servis ! C’est pourquoi, en cette année de « disgrâce » coronavirus, les gîtes et maisons d’étape de notre région affichent quasiment complets. Ils débordent carrément ! Heureusement, par chez nous, les petits endroits discrets où planter sa tente ou garer son camping-car ne manquent pas. Un bout de prairie, une aire en lisière de forêt, une pâture en bord de Sûre… Est-ce autorisé ou non ? J’imagine qu’il faut demander des autorisations aux autorités communales, à la DNF… Ou pas ?

Je vais devoir me renseigner sur ce sujet, car j’ai reçu ces derniers jours des « demandes d’asile » de la part de campeurs improvisés, qui désirent trouver un coin de nature où s’installer quelques jours. C’est une question de distanciation sociale, disent-ils. Ils veulent s’isoler dans leur bulle, se balader dans les bois, jouer au frisbee et fristouiller leur barbecue en toute simplicité, à l’abri du Covid et des regards. Y a-t-il des naturistes parmi eux ? Vont-ils s’organiser une rave-party ? Inviter une armée d’amis ? Se comporter comme en pays conquis ? Déranger les animaux ? Oublier de fermer une barrière de prairie ? Se servir en primeurs dans le champ de pommes de terre du voisin ? « Tu dis toujours « oui » trop vite, alors cette fois, fais attention ! », s’est insurgée mon atermoyante épouse, rendue prudente par une expérience passée.

En effet, voici une quinzaine d’années, nous avons accueilli une troupe de scouts venue de Liège. Oufti que c’est bien ici, disaient-ils ! Tranquille ! Ils ont établi leur campement sur une prairie de fauche de deux hectares, entourée de sapinières. Leur séjour en juillet a été marqué par une météo exécrable, draches et orages en série, lesquels ont transformé le beau gazon verdoyant en un vaste bourbier. Les pauvres… Pas de danger qu’ils ne mettent le feu aux sapins ! Ce n’était vraiment pas leur faute, mais il nous a fallu tout relabourer et semer un épeautre en automne. L’année suivante, de belles taches vert foncé marquaient l’emplacement des feuillées. D’autres vestiges du camp parsemaient les alentours : bouts de ficelles et de tissus, morceaux de bois, chaussures, vêtements oubliés, chiffons, sifflets, ceinturons… Ces petits inconvénients furent toutefois un faible prix à payer pour le plaisir de les observer s’amuser, pour leur politesse et leur bonne humeur communicative.

Les campeurs du Covid seront-ils aussi sympathiques ? Quelles bêtises vont-ils perpétrer ? Pour refréner leur enthousiasme et les engager à rejoindre une structure touristique officielle, je leur ai parlé du loup qui rôde en Ardenne -mais non, je blague ! –, des sangliers fouineurs, des nids de guêpes, des nuées de moustiques les soirs d’été, des ronces et orties, des armées de fourmis, etc. Et surtout des tiques ! Au sujet de ces bestioles, je pourrais écrire deux pages. Cette année, après un printemps sec et chaud, elles sont partout dans les hautes herbes, au bord des chemins, le long des haies vives et des lisières ! Innombrables, sournoises, invisibles, indolores… Elles s’insinuent sans complexe sous vos vêtements et s’installent un peu partout pour prendre leur repas en toute discrétion. Elles affectionnent les creux secrets de votre anatomie et se goinfrent longuement de votre sang, au risque bien réel de vous refiler la borréliose de Lyme, une affection qui ne vaut guère mieux que la maladie à coronavirus, la contagion entre personnes en moins. Et bonjour les démangeaisons, si l’on enlève maladroitement ces minuscules petits monstres à l’aide d’une pince à épiler ! Je sais de quoi je parle, moi qui suis sans doute leur gibier préféré.

Quand ils remarqueront sur eux un piercing de tique, petit diamant noir attaché à leur nombril, cadeau de la nature qu’ils disent affectionner, les touristes découvriront l’une des multiples joies du camping sauvage, du camping-piercing ardennais…

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