Accueil Voix de la terre

Printemps bruyant

Fin mars 1962, parurent aux États-Unis les premiers extraits de l’incontournable best-seller de Rachel Carson : Silent Spring (Printemps Silencieux), édité en septembre suivant. Cette véritable Bible des défenseurs de l’environnement dénonçait l’emploi industriel du DDT, et portait sur les fonts baptismaux un mouvement qui n’allait plus cesser de s’épanouir : l’écologie ! Soixante années plus tard, nous vivons l’un des plus bruyants printemps qu’il nous fut jamais donné de subir ! La guerre fait rage aux portes de l’Europe, et ponctuellement aux quatre coins du globe. Les gens de là-bas hurlent et pleurent devant les cadavres de leurs enfants suppliciés ; ceux d’ici vocifèrent devant les factures de gaz, de carburants et d’électricité, tandis que les jeunes redescendent dans la rue pour rappeler folkloriquement les dérèglements climatiques « poutinesques », prêts à nous consumer dans leur fournaise. Au milieu de cette cacophonie assourdissante, nous sommes là, nous autres agriculteurs, impavides, occupés à ensemencer nos terres, à herser nos prairies, à épandre lisiers et fumiers, à réparer les clôtures et lâcher le bétail en prairie…

Temps de lecture : 5 min

J’ai eu cette semaine au téléphone un gamin écologiste convaincu, qui m’a tenu la jambe et fait la leçon durant une bonne heure. Je lui ai coupé le sifflet en évoquant Printemps Silencieux, qu’il n’avait jamais lu et dont il n’avait pas connaissance ! Et ça se dit écologiste ! C’est comme si un Chrétien n’avait jamais entendu parler de la Bible, un Musulman du Coran, un Juif de la Torah ! Un bon conseil, qui que vous soyez, lisez Printemps Silencieux ! Il est très bien écrit, délicieux et très très instructif. Le parcours de son auteure, Rachel Carson, mérite à lui seul d’être évoqué. Née sur la Côte Est des EU en 1907, elle était issue d’un milieu modeste et dut subvenir très tôt aux besoins de ses jeunes sœurs et de sa maman. Sa stupéfiante intelligence lui permit d’obtenir des bourses universitaires et d’étudier la biologie, tout en menant de front ses activités rémunératrices d’écrivaine très douée. Femme scientifique dans un milieu d’hommes, elle dut sans cesse être la meilleure en tout, et combattre vaillamment les innombrables stéréotypes liés au genre. « Printemps Silencieux » se lit comme une fable, qui décrit un printemps sans aucun chant d’oiseaux, ceux-ci ayant disparu suite à l’emploi massif et incontrôlé de l’insecticide DDT (dichloro-diphényl-trichloroéthane). On découvre avec l’auteure toute l’étendue des dégâts des pesticides mal employés, sur la faune terrestre et aquatique, et les effets hautement cancérigènes sur les êtres humains. L’enquête est scientifique et rigoureuse, appuyée par des études et des analyses indépendantes. Elle ne stigmatise pas les agriculteurs, premières victimes désinformées des biocides, mais pointe surtout du doigt les industries chimiques et agro-alimentaires, ainsi que leur logique capitaliste, indifférente aux monstrueuses dévastations qu’elle engendre.

Soixante années après Silent Spring, rien de nouveau sous les soleils des bombes russes ! Poutine se conduit comme le pire des capitalistes. En perturbant gravement les exportations des produits agricoles ukrainiens et russes, il fait croître les prix à des niveaux déraisonnables, irresponsables. Dans l’absolu, c’est tout bénéfice pour lui et ses oligarques, n’est-ce pas ? Les Occidentaux -Gratte-moi pour rire !- ont confisqué leurs yachts et gelé quelques bricoles : ils ne viendront pas, cet été, se faire bronzer la couenne sur la Côte d’Azur. En réponse aux cris d’orfraie du Kremlin, l’Union Européenne et les États-Unis jouent les nonnes indignées, les vierges vertueuses, mais continuent à financer leurs ennemis par des achats massifs de gaz naturel. Cherchez l’erreur, trouvez l’horreur en ce printemps bruyant. « Tous les cris, les SOS partent dans les airs. Difficile d’appeler au secours quand tant de drames nous oppressent, et les larmes nouées de stress étouffent les cris de ceux dans la faiblesse. » (D. Balavoine)

Occupés nuit et jour dans nos champs et dans nos étables, le vaste brouhaha de l’actualité nous parvient de manière assourdie. Chaque matin, au lever du soleil, les oiseaux s’époumonent et lancent leurs trilles printanières dans nos campagnes. Ils sont là aujourd’hui, et seront là demain, tranquilles, sans souci j’espère. Quant à nous, et bien, nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge. Poutine a bien fait comprendre aux distraits qui en doutaient bêtement, que certains produits, par exemple les engrais ou les énergies fossiles, ne seront pas disponibles éternellement. Après avoir massacré la planète, l’homme devra-t-il se résoudre à gagner son pain à la sueur de son front, c’est-à-dire de son propre front ? Comment rouleront les véhicules qui sillonnent la Terre en tous sens et la griffent mortellement ? Il faudra bien se résoudre à trouver des parades, à écouter des Cassandre comme Rachel Carson, à 60 ans de distance.

Celle-ci, lors de la parution de son œuvre majeure en 1962, luttait désespérément contre un cancer du sein, soigné avec les techniques invasives de l’époque. Elle but le calice jusqu’à la lie et au-delà, attaquée de manière « poutinesque » par l’industrie chimique et les lobbies de l’agro-alimentaire, lesquels craignaient de perdre des marchés et surtout leur souveraine impunité. Ils s’acharnèrent à contester les affirmations de la biologiste, à la discréditer en des termes odieux qui visaient surtout sa qualité de femme, la qualifiant d’« hystérique », de « déviante sexuelle » car elle était restée célibataire malgré sa beauté. Les missiles « Satan » et « Titan » de ses détracteurs ralentirent un temps l’élan écologiste initié par Printemps Silencieux, mais celui-ci finit par influencer les débats au sein des sphères dirigeantes, aux États-Unis et ailleurs, jusqu’à aujourd’hui…

Rachel Carson mourut hélas en 1964, sans connaître l’inestimable retentissement de son livre, un sacré bouquin qui chante en chœur avec les oiseaux, en ce printemps bruyant peuplé de tous ces SOS de Terriens en détresse !

A lire aussi en Voix de la terre

Où est le printemps?

Voix de la terre Une bergeronnette fait son nid sous mes panneaux solaires, Les choucas ont fini de boucher la cheminée de mon fils. Aie ! Les tourterelles s’impatientent, les feuilles de nos arbres tardent à venir, elles chantent, ont envie de nicher. Mais oui, c’est le printemps…
Voir plus d'articles