Accueil Voix de la terre

Prendre demain à deux mains?

Ah, hier encore, ces virus ! Et aujourd’hui, ces vils Russes ! Les gros pavés lancés en Ukraine n’en finissent pas de faire des ronds dans la mare aux peinards Occidentaux, soudainement réveillés par une guerre sortie de nulle part, cauchemar revu et corrigé à la Poutine, sorti tout droit d’un passé révolu depuis 80 ans. Les réfugiés affluent dans nos pays, désorientés, hébétés, ahuris de découvrir chez nous un mode de vie moins « cool & relax » qu’il n’y paraît vu de chez eux, une Belgique où la bureaucratie n’a guère à envier à celle de l’ancien Bloc de l’Est. Ceux qui ne connaissent ni l’anglais, ni une des trois langues belges, apprennent très tôt leur premier mot : « demain ». Revenez demain ; vous aurez un logement demain ; vos papiers seront prêts demain ; etc. Ils comprennent vite que « demain » veut dire chez nous « un de ces jours », « dans un avenir plus ou moins proche » ou même « jamais », et qu’il leur faudra s’armer d’une patience d’ange pour ne pas désespérer. Les agriculteurs connaissent ce syndrome belgo-belge, ce « demain » sur lequel nous avons buté, butons et buterons tout au long de notre carrière, à la ferme et dans les champs, dans les bureaux des administrations. Demain ne meurt jamais, dirait James Bond. Nous, oui…

Temps de lecture : 4 min

Ceux qui me connaissent vont hurler de rire en lisant cet article, moi, expert en procrastination, cette tendance à remettre au lendemain, à temporiser, à vivre dans le présent. J’éprouve les plus grandes difficultés à me projeter dans l’avenir, à planifier des activités au-delà d’un horizon d’une semaine ou deux. À chaque jour suffit sa peine ! Les choses qui peuvent attendre sont rangées au tiroir, où je les oublie quelquefois. D’autres fermiers, comme les Soviétiques en leur temps, planifient en grand et prennent les devants, construisent des bâtiments avant de posséder les vaches, achètent du gros matériel avant d’avoir les champs, dépensent déjà l’argent de leur récolte avant de l’avoir semée, de leur lait avant de l’avoir trait. En ce qui me concerne, j’attends le lendemain quand il s’agit de prendre des décisions importantes, comme le faisaient mes ancêtres paysans. Il ne faut jamais agir dans l’émotion, quand on a trop d’envie ou trop de crainte, et prendre le temps de réfléchir. La nature est ainsi faite, nous l’observons chaque jour. Il faut attendre que la brebis agnèle, que la vache mette bas, que le foin soit bien sec avant de le presser en ballots, que le blé soit mûr et que les pommes de terre soient défanées.

Ceci dit, s’entendre sans cesse dire « demain », voir renvoyées ses demandes aux calendes grecques, peut s’apparenter à une forme de torture mentale. Les demandes de permis de bâtir, les formalités pour obtenir des aides financières ou des indemnités, durent souvent des plombes avant d’aboutir. On ne compte plus les heures passées au téléphone pour débloquer des situations ubuesques, délirantes, quand un fonctionnaire pas pressé du tout, vous chante du Fernand Sardou : « Aujourd’hui peut-être, ou alors demain. Ce sacré soleil me donne la flemme. ». Alors oui, je plains de tout cœur les Ukrainiens et tout autre réfugié, quand ils se trouvent confrontés à l’inertie de la bureaucratie. Imaginez-vous à leur place, dans un pays où la langue et l’alphabet vous seraient totalement étrangers ! De même, en ce qui concerne les agriculteurs, le langage informatique -utilisé pour remplir les déclarations de superficie PAC par exemple- nous est très peu familier, et pose parfois de gros problèmes de compréhension. Il faut souvent attendre « demain » pour obtenir une aide en ligne, ou un rendez-vous « demain » avec un « expert » qui puisse vous aider au remplissage, sans qu’on sache au fond s’il fait bien son boulot.

Ce simple mot, « demain », est porteur d’interrogations anxiogènes pour les personnes fragilisées, plongées jusqu’au cou dans une crise qui les dépasse. « Qui remet au lendemain trouve malheur en chemin », disaient sans cesse mes parents, toujours pressés par les choses de la vie. Leur maxime pourrait s’appliquer au réchauffement global de la Terre, aux dérèglements climatiques qui menacent l’humanité. Pourtant, les Grands de ce Monde procrastinent allègrement, remettant sans cesse à demain les décisions draconiennes à prendre de toute urgence, avant que la Terre ne devienne invivable pour notre espèce. « Ça ira mieux demain ! », affirment-ils avec aplomb, en prenant quelques mesurettes, en appliquant quelques sparadraps sur des plaies béantes. Nous-mêmes, intoxiqués par leurs discours capitalistes et consuméristes, ne prenons pas la mesure des enjeux climatiques -après nous les mouches ! –, obnubilés par nos quotidiens, notre « aujourd’hui » et nos « demains » qui risquent fort de déchanter si nous restons coincés sur les rails de nos train-train sans lendemain viable…

Aurons-nous la sagesse généreuse de prendre en main le demain des Ukrainiens et des malheureux de la Terre, et surtout le bon sens de saisir enfin notre demain à deux mains ?

A lire aussi en Voix de la terre

Où est le printemps?

Voix de la terre Une bergeronnette fait son nid sous mes panneaux solaires, Les choucas ont fini de boucher la cheminée de mon fils. Aie ! Les tourterelles s’impatientent, les feuilles de nos arbres tardent à venir, elles chantent, ont envie de nicher. Mais oui, c’est le printemps…
Voir plus d'articles