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Ceinture!

Cette fois, ça y est ! Nos commissions agricoles communales ont activé le plan « sécheresse ». Y’a plus qu’à déclarer ses pertes, comme on dit ! Évidemment, les PV de constatation ne ramèneront pas la pluie, mais au moins, les dégâts seront objectivés et consignés de manière officielle. Il s’agit là chez nous de la dernière péripétie d’une année réellement bizarre, jalonnée de surprises plus effarantes les unes, plus inquiétantes les autres…

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Mais ce n’est pas si grave, tempèrent nos instances dirigeantes : en ces temps d’austérité, il suffit simplement de se serrer la ceinture, d’y rajouter un trou ou deux si nécessaire, et nous surmonterons ces crises ! « Sobriété », « frugalité » sont devenus des maîtres mots, exhumés dans ce cimetière où ces mêmes instances ont enterré d’autres termes comme « modération », « équité », « raison ». Et si on vivait mieux avec moins ?

Ceci dit, il faut bien l’admettre : on n’a jamais connu d’été aussi sec que cette année ! Certaines sources sont taries, qui ne cessèrent jamais de couler de mémoire d’homme, même en 1976 et 1947. C’est vous dire ! Les records se multiplient dans une actualité qui s’emballe sur plusieurs fronts : climat, géopolitique internationale, énergie… Les messages alarmants inondent les médias, truffés de ces mots naguère oubliés, à présent galvaudés. Quand j’entends par exemple notre Premier ministre et le Président français affirmer sans rire que l’énergie restera hors de prix au cours des quatre à cinq prochains hivers, et qu’il faudra consommer « avec sobriété », je me demande s’ils saisissent bien le sens de ce mot. Pas vous ? Selon ces hommes d’État, nous devons devenir sobres comme des chameaux, dans notre traversée du désert.

Une idéologie de crise s’est installée à demeure en Europe de l’Ouest, et la sacro-sainte croissance ne serait plus à l’ordre du jour, si on peut les croire. Le terme « sobriété » – du latin « sobrietas », tempérance dans l’usage du vin – désigne le comportement d’un animal ou d’une personne qui boit et mange avec modération. Une société dite « sobre » appliquerait une gestion parcimonieuse des ressources, dans une logique de remise en cause volontaire de l’hyper-consommation. À vrai dire, je ne crois pas un instant à la sincérité d’une telle exhortation ; j’y vois la duplicité d’un discours qui prônerait une « sobriété » qui s’applique au peuple. Depuis la nuit des temps, les élites financières et politiques répètent ce petit stratagème, et réclament, en cas de crise majeure, la sobriété aux niveaux inférieurs, afin de faire des économies et de préserver ainsi les étages supérieurs. Petits malins, va ! Les ministres demandent à leurs citoyens d’avoir froid l’hiver ; les patrons veulent geler les salaires de leurs ouvriers ; les grandes enseignes font pression sur les transformateurs agro-alimentaires, qui répercutent chez les agriculteurs…

Et pour faire bonne mesure, on associe « sobriété » et « frugalité », tant qu’à faire ! Dans les déclarations – en parole seulement ! – le mot « frugalité » aussi est revenu à la mode. Il vient de « frugalis » qui signifie « bonne récolte de fruits ». La frugalité évoque la qualité de quelqu’un qui ne se goinfre pas et se contente d’une nourriture simple, sans se priver pour autant. Il consomme juste ce qu’il faut, ni trop, ni trop peu. La frugalité n’est autre que la capacité de faire fructifier ses ressources sans les épuiser, d’en user sans en abuser. Tout le contraire de ce qui se fait dans notre système capitaliste ultra-libéral !

En vérité, sobriété et frugalité sont des vertus typiquement paysannes ! Les agriculteurs en appliquent les principes depuis la nuit des temps, simple question de survie et d’équilibre avec leur environnement… Sobriété et frugalité sont inscrites dans notre ADN. On nous moque pour ces « défauts » légendaires, et les quolibets fusent : « radins », « avaricieux », « pingres », « rapiats »… avec uniquement la fumée qui sort du toit. Nous sommes simplement obligés de gérer nos ressources au gré des bonnes et mauvaises fortunes, avec des périodes de vaches grasses et de vaches maigres. Il faut garder des réserves, conserver ses avoirs avec prudence, ne pas mettre à ses pieds ce que l’on a dans ses mains, sous peine d’être puni en cas de coup dur, lequel ne manque jamais d’arriver un jour ou l’autre.

Ainsi, l’an dernier, les éleveurs des zones herbagères ont récolté beaucoup de fourrages, certes point de première qualité, mais en grande quantité. Cet été, nous sommes bien contents de disposer de foins et d’ensilages en réserve pour faire face à la sécheresse actuelle ! Si un fermier a engrangé 1.200 boules de foin, pour soigner son bétail pendant 150 jours en hiver, il ne pourra consommer que 8 boules quotidiennement. Si la fantaisie lui prend étourdiment de ne pas rationner, il « n’entendra pas chanter le coucou », comme on dit chez nous. Il faut faire avec ce qu’on a, sinon, c’est la punition ! Ainsi, les cigales de nos pays riches, ayant gaspillé l’énergie fossile durant des décennies au lieu d’en user avec sagesse, se trouvent fort dépourvues maintenant que le pétrole et le gaz naturel ne coulent plus à bon marché.

Zut ! Il va falloir se serrer la ceinture, pour beaucoup de gens. Quant à nous, agriculteurs, nous avons de toute façon l’habitude de vivre avec rien, avec ce que l’on nous laisse…

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