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Blanc-Bleu Blues

« Dans dix ans, le Blanc-Bleu, c’est fini ! ». Chronique d’une mort annoncée, cette rengaine enfle et tourbillonne dans le vent de nos campagnes, comme une chanson d’automne au refrain mélancolique. Volonté des hommes, ou avatar d’une époque ?

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Beaucoup d’éleveurs B-BB sont fort découragés par les prix payés à la ferme, en baisse constante et catastrophique, et par l’image de marque de notre race bovine nationale, en réelle perte d’estime. Ils sont surtout frustrés par le lymphatisme de nos instances politiques agricoles, et par l’apathie des « syndicats » wallons : Fugea, Mig, Map, Fwa, & Cie, censés défendre tous leurs affiliés, mais qui, de toute évidence, semblent déjà résignés à la disparition future des troupeaux Blanc-Bleu.

Un seul groupement de défense agricole se préoccupe activement de l’avenir de notre race, et il est… flamand. J’en suis réellement médusé ! Il s’agit de l’ABS, Algemeen Boeren Syndikaat, « syndicat de tous les agriculteurs », à ne pas confondre avec son frangin glouton le Boerenbond. L’Abs se dit alarmé par le malaise du secteur de la viande B-BB : prix bas, matraquage médiatique anti-viande intensif, baisse d’intérêt de l’industrie hôtelière et promotion des races étrangères par les réseaux de distribution. Selon cette organisation de défense agricole, « Notre viande de qualité est rétrogradée au rang d’un produit blanc bon marché ».

Par ailleurs, le syndicat flamand estime que depuis l’abolition du label de qualité Meritus en 2013, le B-BB est tombé dans un trou noir. Goodbye Meritus, hello Belbeef ! Une décision que l’Abs regrette aujourd’hui. Le label bien connu et apprécié a été remplacé par un label générique. En conséquence, Delhaize s’en est distancé, tout comme les autres chaînes de supermarchés. Seul Lidl utilise l’étiquette, mais c’est pour brader !! Or donc, les supermarchés recherchent maintenant des races spéciales. « Il est humiliant de constater que notre Blanc-Bleu belge est parfois aligné au tiers du prix d’un Charolais ou d’un irlandais ! », s’indigne l’Abs ! Le Blanc-Bleu a perdu toute noblesse, face à ces viandes exotiques et à celles issues de l’agriculture biologique : Limousines, Blondes d’Aquitaine, etc. !

Il s’agit pourtant d’une race bien de chez nous, sélectionnée depuis cent cinquante ans par nos aïeux, depuis l’arrivée des premiers taureaux Durham Shorthorn, venus de leur lointaine Angleterre du Nord-Est. Les vachettes rousses de nos régions ont été bien étonnées de voir débarquer ces grands gaillards tachetés, au flegme tout britannique, eux-mêmes descendants des vaches amenées par les Vikings mille ans plus tôt !

Le croisement d’absorption a fait merveille, pour donner une race à deux fins, lait et viande, paisible et rustique, à la curieuse robe mouchetée de bleu, à la belle tête expressive armée de courtes cornes (shorthorn). Pour leur bonheur (ou leur malheur…), ces vaches donnaient régulièrement des veaux très musclés, et cette viande débordant de partout a très vite séduit nos bouchers. Les vétérinaires ont mis au point la césarienne dans les années 1960 ; les centres d’insémination et de sélection bovines ont embrayé au quart de tour, et le B-BB viandeux et né dans les années 1970…

L’Abs croit toujours en la race, contre vents et marées : « Tout d’abord, nous devons travailler à revaloriser notre Blanc-Bleu belge. Nous avons beaucoup d’atouts à faire valoir : viande maigre et super tendre, avec un rendement carcasse des plus élevés ; il s’agit d’un produit typiquement belge, avec une faible empreinte écologique ; une race docile ! ». Pour son malheur, le B-BB est associé au scandale sanitaire des hormones, à « l’opacité de la chaîne de la viande », devenue une légende, mais plus du tout d’actualité.

Rien de nouveau sous le soleil ! Si le discours de l’Abs semble convenu et peu original, il a le mérite d’exister et d’exprimer des vérités tellement évidentes, et que personne ne daigne mettre en avant de manière convaincante, et les crier haut et fort ! Il s’agit d’un produit belge, de haute qualité, fruit du travail de sélection et de la persévérance de multiples générations d’agriculteurs.

Par ailleurs, victime de son trop grand rendement carcasse, et à l’instar des autres bovins viandeux, le B-BB vit très mal la concurrence des viandes de volailles et de porcs, lesquels ont une capacité de reproduction diablement efficace, et sont alimentés par des matières premières agricoles industrielles, produits grâce à la mécanisation et la motorisation de l’agriculture.

Personnellement et de manière sans doute irrationnelle, je trouve totalement injuste et anti-écologique, que le prix d’animaux qui se nourrissent eux-mêmes dans les prairies soit plus élevé que celui d’animaux soignés toute l’année dans des logements très coûteux pour le portefeuille et l’environnement, à l’empreinte GES (gaz à effet de serre) et nitrate désastreuse, et nourris par des aliments produits à des milliers de kilomètres de chez nous dans des conditions très suspectes.

Le B-BB n’est plus rien : un produit générique bon marché, surabondant et surabandonné, accusé de tous les maux de la Terre par les lobbies anti-viande et les défenseurs de la cause animale. Nos syndicats et ministères assurent les affaires courantes et se complaisent en hibernation… « Tu dors, Brutus, et Rome est dans les fers ! », disait Voltaire dans sa tragédie « La mort de César ».

Le Blanc-Bleu Belge vit hélas, en ces jours sombres, sa propre tragédie…

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