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Peau de chagrin

Relayée largement par les médias, la nouvelle tant redoutée est tombée, telle un couperet : Brexit oblige, paraît-il, le budget agricole européen va encore être amputé d’une bonne poignée de pourcents… Cette décision suscite bien peu d’émoi dans la population, très peu encline à se soucier du sort des agriculteurs, on s’en doute !

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Relayée largement par les médias, la nouvelle tant redoutée est tombée, telle un couperet : Brexit oblige, paraît-il, le budget agricole européen va encore être amputé d’une bonne poignée de pourcents… Cette décision suscite bien peu d’émoi dans la population, très peu encline à se soucier du sort des agriculteurs, on s’en doute !

Diverses réflexions fusent à gauche et à droite. Cette baisse n’est pas si dramatique, entend-on dire. De toute façon, puisque la population agricole se minimalise d’année en année, remplacée par des machines et des technologies de plus en plus efficaces, le gâteau des « primes » est partagé entre un nombre sans cesse restreint d’exploitants. Alors, pourquoi les fermiers se plaignent-ils, puisqu’ils reçoivent chacun de plus en plus d’indemnités ? Et puis, cette histoire de 20-80, -20 % des ayants droit reçoivent 80 % de la manne européenne –, restent au travers de la gorge du bon peuple. Enfin, d’une manière générale, tout le monde est en crise, chacun doit se serrer la ceinture ; pourquoi les agriculteurs seraient-ils épargnés ?

Certains se réjouissent de ce tassement, s’en frottent les mains, personnalités politiques mal inspirées ou journalistes mal informés. « La PAC coûte cher, trop cher ! ». Rien n’est plus faux ! En 1990, les dépenses agricoles de l’UE représentaient à peine 0,6 % du Produit Intérieur Brut européen. Elles ont été pratiquement divisées par deux en vingt-cinq ans, et la prochaine coupe sombre les fera passer sous la barre des 0,3 % du PIB ! À titre de comparaison, Donald Trump exige que ses partenaires européens de l’OTAN honorent leur engagement, à savoir consacrer 2 % du PIB à leurs dépenses militaires ! Dans la réalité des chiffres, les citoyens de l’UE se fendent chacun d’un malheureux 150 €/an pour protéger leur agriculture, et devraient payer plus de 800 € pour entretenir leurs armées. Si la PAC coûte trop cher, garante d’une nourriture abondante et bon marché, que dire de ces marchands de mort ? Il faudrait qu’on nous explique…

L’incompréhension et l’incrédulité colorent de gris notre état d’esprit quotidien. Cette baisse annoncée n’est-elle pas un signe d’abandon, d’un manque flagrant de reconnaissance envers l’agriculture ? Notre fonction de « variable d’ajustement » n’est guère honorable ; elle nous renvoie à un état de serf-paysan, une condition qui, dans l’absolu, est restée la nôtre depuis la féodalité. Dans la conscience des peuples, s’est inscrit le sentiment bien établi qu’il est normal de profiter du travail des agriculteurs, de leur imposer un cadre strict, un joug à porter, un sentiment de précarité et d’éternelle subordination, voire de culpabilité, comme si la masse paysanne devait payer à jamais une faute originelle impardonnable.

Le budget de la PAC s’effiloche comme peau de chagrin, dans l’indifférence du plus grand nombre. Les seuls à s’inquiéter pour nous sont justement ceux qui vivent grâce à nous, en aval de notre profession : les fabricants et marchands d’aliments, d’engrais, de produits phyto, de semences, de tracteurs, de machines et d’autres fournitures, les prestataires de services, ceux vers qui, justement, percolent au final toutes les aides reçues. Si le revenu de l’agriculteur diminue encore, il dépensera moins d’argent, c’est fatal, à moins de l’obliger à payer pour l’une ou l’autre nouvelle directive, autre spécialité de notre PAC bien-aimée, tantôt belle-maman, tantôt marâtre impitoyable.

Nous sommes pieds et poings liés, englués dans la toile d’araignée, et ressentons douloureusement la moindre de ses vibrations, les sautes d’humeur par trop prévisibles de l’araignée-bureaucratie qui nous surveille, prête à nous manger si l’appétit lui vient. Ce terrible ressenti ne s’est guère amélioré à l’annonce de cette amputation de budget. D’autres questions se posent, dans la foulée. Les clefs de répartition vont-elles évoluer vers davantage de verdissement, davantage de convergence ? La conditionnalité aux aides va-t-elle continuer son travail d’encerclement, d’étranglement ?

Dans le roman de Balzac, la Peau de Chagrin s’amenuise chaque fois qu’elle exauce un vœu de son propriétaire. La nôtre se réduit sans jamais rien exaucer, pour notre plus grand chagrin…

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