Accueil Voix de la terre

Le veau joli nouveau

Le beaujolais nouveau est arrivé ! L’impénitent buveur de chicorée que je suis s’en soucie fort peu, mais l’opération marketing est remarquable dans sa conception et dans son animation. L’engouement pour les vins ne faiblit pas, au contraire ! Il y a de quoi jalouser les vignerons et toute la filière viticole, laquelle a développé un dynamisme exemplaire qui pourrait bien inspirer notre filière viande : un savoir-produire et un savoir-vendre dix fois plus efficace que le nôtre.

Temps de lecture : 5 min

Entre « viande » et « vin », le parallèle est évident, en plus des trois lettres « v », « i », « n » qu’elle et lui ont en commun ! Le vin est associé à des émotions positives, à des moments de partage et de convivialité, à un certain art de vivre, à des événements festifs où il est incontournable. La viande ne dispose pas de cette aura. Elle n’a pas de grandes appellations célèbres, du style « Cochonnet Château-Bastogne », ou encore « BBB Château-Margot ». Point de grands crus millésimés ! Nos Jambons d’Ardenne, Pâtés Gaumais, et Boulets Sauce Lapin ne nous emmènent pas au pays des rêves, à l’inverse de ces grands noms de vins très connus, gages de qualité, d’authenticité, voire de noblesse !

Pourtant, au départ, la viticulture est une forme d’agriculture, comparable aux autres activités agricoles. Un vigneron cultive sa terre, la nourrit, l’entretient. Il plante des ceps qu’il a choisis en fonction de ses objectifs ; il assure leur protection contre les maladies ; il les bichonne, les taille, les surveille. Il récolte le raisin au moment opportun, comme le cultivateur qui moissonne son grain quand il est mûr, comme l’éleveur qui sélectionne et soigne son bétail du mieux qu’il peut. Mais au final, tandis que nos productions sont péniblement écoulées pour un prix écrasé, le vin de qualité, quant à lui, se vend facilement et assure un revenu plus que décent aux viticulteurs. Qu’est-ce qui fait la différence ?

« La recherche du goût ! », m’a affirmé naguère un boucher ! Selon cet amateur de bons vins, la filière viande n’a jamais placé la saveur au centre de ses priorités, contrairement au vin. Erreur fatale ! Les maîtres de chais goûtent sans cesse leurs produits, font des mélanges, des ajustements. Un éleveur de bovins va-t-il goûter la viande de ses animaux, afin de sélectionner les lignées les plus « goûtues », ou adapter ses rations ? « La viande d’aujourd’hui n’a plus de caractère. En termes d’œnologie, c’est de la piquette ! », m’a-t-il asséné. Le BBB est souvent cité pour sa fadeur, pour la sensation gustative décevante qu’il laisse en bouche. Il faut baigner sa viande de sauce au poivre, à la moutarde, aux champignons… pour la rendre appétissante. Ce n’est pas une fatalité, selon lui, mais plutôt l’expression de mauvaises pratiques d’engraissement et de finition ! Un BBB bien engraissé est tout autant savoureux qu’un limousin ou un charolais, soient-ils bios ou non.

Oh la la ! Mon ami boucher jette là un fameux pavé dans la mare ! Selon lui, les engraisseurs sont trop pressés ; ils emploient des farines industrielles à « effet booster », lesquelles contiennent trop de soya, de palmiste, de maïs, des sous-produits divers et de la poudre magique. Les protéines et la graisse synthétisées par l’animal expriment la fadeur chimique de ces composants. Il pointe du doigt tous les engraisseurs, petits ou gros. La qualité et surtout le goût des carcasses n’ont rien à voir avec la taille des ateliers. Certains « gros », voire « très gros », travaillent très bien, d’autres parmi eux beaucoup moins bien ; et c’est la même chose chez les « petits », chez les éleveurs qui engraissent eux-mêmes leurs animaux. C’est tout un métier, toute une passion !

Chaque animal est différent, et mérite un traitement personnalisé. Il faut pailler sa loge abondamment, le débarrasser de tous ses parasites, veiller à son bien-être, l’alimenter avec des nourritures appétissantes et naturelles, le laisser « profiter » à son rythme. Un animal heureux, bien dans sa peau, bien nourri, fournira une viande bien reposée, appétissante. Un animal forcé, gavé de substances insipides, donnera une viande peu intéressante, triste à manger, une excellente publicité pour le végétarisme. « C’est d’une tristesse affligeante, de voir de si beaux têtards, nourris à l’herbe et au bon lait de leur mère, se retrouver devant des auges garnies de farines industrielles. Quel gâchis ! ».

Ces propos n’engagent que leur auteur, mais incitent à réfléchir. Les concours de bovins sacralisent les animaux les plus viandeux, les mieux conformés. Leur viande est-elle pour autant réellement délicieuse à déguster ? Ne serait-il pas davantage judicieux de récompenser les éleveurs qui produisent la meilleure viande, d’organiser des concours avec des tests à l’aveugle ? Lors des foires aux vins, les amateurs du divin breuvage ont l’occasion de goûter toutes sortes de variétés, dans une ambiance conviviale et festive. Cette dégustation est accompagnée de tout un cérémonial, de tout un folklore fort apprécié. L’alcool joue un rôle d’adjuvant, bien entendu… Existe-t-il des foires aux viandes, où l’on pourrait goûter, juger, s’instruire et recevoir des explications quant à l’origine des produits ? Poser ces questions, c’est déjà y répondre, hélas…

Le beaujolais nouveau est arrivé, quant au veau joli nouveau, arrivera-t-il un jour ?

A lire aussi en Voix de la terre

Merci les jeunes!

Voix de la terre Durant ce mois de février, votre détermination et votre enthousiasme ont secoué et réveillé les instances politiques locales et européennes.
Voir plus d'articles