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C’est juin qui fait les foins

Mais où sont les foins d’antan ? Autrefois concentrée sur deux ou trois semaines en été, la fenaison d’aujourd’hui s’étale du printemps à l’automne, d’avril à novembre, déclinée en multiples coupes. Encore faut-il parler maintenant de « récoltes d’herbes », car les agriculteurs-éleveurs ensilent plutôt qu’ils ne fanent comme « dans le temps », quand les plastiques dérivés de l’industrie pétrolière n’existaient pas, et qu’il fallait tout engranger en sec.

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Admettons-le, nos parents et nos aïeux paysans pratiquaient une agriculture à l’empreinte carbone beaucoup plus faible que la nôtre, par la force des choses et en l’absence des technologies modernes. Dès que les graminées des fourrages commençaient à épier en juin, ils guettaient « un anticyclone » disaient-ils, et tapotaient chaque jour le baromètre, pour voir si l’aiguille baissait ou montait. Si la pression atmosphérique s’élevait trop rapidement, elle risquait de redescendre aussi vite, et la fenêtre de beau temps était trop courte pour faner. Ils observaient les toiles d’araignées (de grandes et nouvelles « rontoûyes » étaient signes de bon temps), les changements de direction du vent (il valait mieux qu’il tourne au fil des jours dans le sens des aiguilles d’une montre (ouest-nord-est-sud), que l’inverse). Ils se basaient sur les dictons, quand Saint Médard et ses copains entraient dans la danse. Ils regardaient la hauteur des nids des corbeaux et des pies (placés au-dessus des arbres, été mouillé ; plus bas dans le feuillage, été sec). Ils observaient le vol des oiseaux, des hirondelles, des chauves-souris le soir, si les mouches étaient « méchantes » ou non ; ils se basaient sur les phases de la lune, sur la couleur des aurores et des soleils couchants pour essayer de deviner s’ils pouvaient ou non risquer de faucher leur foin.

Quand enfin « l’anticyclone » était là, c’était le branle-bas de combat. Mon grand-père disait que son père -un gaucher aussi large que haut- pouvait couper 70 ares par jour à la faux, un fameux gaillard ! Puis les « rasettes » firent leur apparition début du 20e siècle, attelées aux chevaux ; les barres coupeuses fixées directement sur les tracteurs arrivèrent dans les années 1950, les faucheuses rotatives vers 1970. Celles-ci hululaient follement, avec chacune un son aigu bien spécifique, et on savait tout de suite qu’Untel avec sa PZ, ou Tel’autre avec sa Fahr, avait commencé les foins. Aujourd’hui, les faucheuses à disques font un bruit de tondeuse géante, et prennent une largeur stupéfiante qui désespérerait mon arrière-grand-père, lequel se cassait les reins dix heures par jour pour faucher un coin de pré zigouillé en dix minutes en 2022.

Une fois le foin coupé, il fallait prier pour qu’il ne pleuve pas pendant au moins cinq jours. Quand j’étais gamin, il me semble que la météo était beaucoup plus capricieuse et humide qu’en cette première moitié de 21e siècle. Souvent, le foin était presque bon à être ballotté, et puis « paf crac boum ! », un orage éclatait. Ou alors, la presse entrait dans le champ andainé, et quelques gouttes dégringolaient d’un nuage aux allures innocentes qui venait nous narguer et nous mettre en émoi. D’autres fois, le pick-up tombait en panne au milieu de la parcelle, et ratait ses ballots comme un fou. Il fallait ré-attacher cent fois la ficelle à l’aiguille, remettre en route, et puis défaire les ballots à moitié liés dans une ligne, sous une chaleur de plomb qui vous mettait en nage, poussières irritantes partout sur le corps et yeux larmoyants. Une fois le foin pressé en bottes, on chargeait celles-ci à la fourche sur la remorque et on les rentrait dare- « dards » (piqués par les taons) dans les granges surchauffées. Sous les toits en ardoises de schiste, je parie que la température grimpait parfois jusque 40ºC; c’était horrible, une vraie chaleur d’étuve… Bref, la fenaison d’antan constituait une « joyeuse » expérience de vie, inoubliable !

Aujourd’hui, la fenaison, c’est cool Raoul ! Il suffit de tapoter son smartphone pour connaître la météo des 14 jours à venir ; on peut y suivre l’arrivée des averses d’heure en heure, sur l’application du radar des précipitations. Deux ou trois jours suffisent pour « préfaner », avant d’ensiler vite fait bien fait. Évidemment, le plastique coûte cher et est tout de même fort polluant, pour emballer les boules ou bâcher les silos-couloirs. Je remarque cette année davantage de grands chantiers d’ensilage, avec automotrice et bennes. Il faut beaucoup moins de plastique, et tout est réglé en trois journées de travail : fauchage, andainage et ramassage de cinquante-soixante hectares ! « Citius, Altius, Fortius-Communiter- » : « plus vite, plus haut, plus fort -ensemble- », comme aux jeux olympiques ! Où s’arrêtera l’agriculture, contaminée hélas par ce trouble obsessionnel compulsif de performance et d’hyperconsommation, qui accable le monde moderne ?

En ce qui me concerne, je préfère prendre le temps de laisser sécher mes quelques petits hectares de foin. Pas de plastique à payer, puis à conduire au parc à containers une fois les boules mangées… Les « anticyclones » tellement fugaces de nos parents, s’installent volontiers pour une semaine ou deux, -changement climatique oblige ? –, et curieusement, on rate beaucoup moins ses foins depuis l’An 2000, ou alors il faut vraiment le faire exprès. Les périodes sèches sont plus longues, c’est évident, et je me demande parfois pourquoi les fermiers d’aujourd’hui ne fanent-ils pas davantage, afin de ménager leur trésorerie et leur empreinte carbone sur l’environnement ?

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