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Végétarisme, végétalisme et véganisme: douce illusion ou hypocrisie?

Ces dernières années, nous avons vu fleurir sur les réseaux sociaux et dans la presse d’innombrables discussions opposant partisans et adversaires de la consommation de viande, voire de tout produit d’origine animale pour les véganes. Ces discussions de sourds débouchent rapidement sur des insultes, les premiers traitant les seconds d’idiots, ces derniers accusant les « viandards » ou les « charognards » d’être des assassins crapuleux, cancéreux et pollueurs. Stigmatisation, polarisation, généralisations, exagérations, démonstrations par les cas personnels. La plaie des débats.

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Avouons-le d’emblée, je suis omnivore. Pas viandard, pas charognard. Omnivore. Ce qui veut dire que je mange de tout, donc aussi des plats végétariens ou végans quand l’occasion se présente. Oh bien sûr, il m’arrive de taquiner mes camarades végétariens, mais c’est toujours bon enfant et pas plus méchant que d’asticoter le supporter d’un club adverse après une défaite.

Puis viennent les insultes des extrémistes. Leur moralisation et, surtout, leur hypocrisie. Cette frange radicale des végétariens, végétaliens et végans estime en quelque sorte être meilleure, voire supérieure aux viandards. Dès qu’on leur demande pourquoi, ils nous rabâchent les mêmes arguments, qui sont loin d’être incontestables, mais dont ils refusent obstinément toute remise en question. Avec une seule tactique : la culpabilisation, plutôt que le raisonnement intellectuel et contradictoire.

Un principe de base

Tout d’abord, rappelons que le principe de base dans le règne animal, dont l’Homme fait partie, est qu’une espèce en consomme une autre, végétale ou animale. La poule mange le ver de terre, le renard mange la poule, tandis que le rat mange son œuf. En ingurgitant de la viande, nous ne contrevenons donc nullement aux lois que nous impose Dame Nature. Que du contraire, nous nous inscrivons pleinement dans la logique qui la régit. D’ailleurs, en dénonçant le « spécisme », c’est-à-dire la conviction que l’Homme serait une espèce supérieure aux autres, les véganes, entre autres, se tirent d’emblée une balle dans le pied. S’il est l’égal des animaux, pourquoi l’être humain devrait-il s’interdire ce qui leur est permis ? Ne font-ils pas eux-mêmes preuve de spécisme quand, pour excuser les pratiques carnivores d’autres espèces, étonnamment et subitement considérées alors comme « normales », ils prétendent que notre intelligence supérieure devrait nous permettre de comprendre qu’il est mal de manger de la viande ?

La maltraitance, l’affaire de tous

Venons-en maintenant à l’argument phare : la maltraitance. À les entendre, eux respecteraient les animaux, contrairement aux omnivores. Or, rien n’est moins faux, car même si une personne exclut la viande de son assiette, elle est responsable de nombreuses souffrances du simple fait d’exister et de consommer.

Prenons l’alimentation végétarienne. Êtes-vous réellement convaincus qu’aucun animal ne souffre ou ne meurt des conséquences de nos cultures ? Que les charrues, les tracteurs et les moissonneuses-batteuses n’effraient, ne blessent et ne tuent aucun batracien, rongeur, insecte ? Que ces produits ne sont pas transportés par route ou par air, avec pour résultat d’innombrables insectes, escargots, oiseaux, grenouilles, lièvres et autres espèces écrabouillés sous les roues ou explosés sur les pare-brises des véhicules ? Vous me direz que vous ne consommez que les légumes de votre jardin. Bravo. Mais que se passe-t-il lorsque vous enfoncez votre bêche ou un autre outil dans la terre et que vous coupez un lombric en deux ? Ne souffre-t-il pas ? Quand vous éliminez les limaces et autres parasites, même avec des techniques dites « bio » ? D’ailleurs, votre bêche n’a-t-elle pas aussi été transportée dans un camion tueur avant d’arriver chez vous ? Horreur suprême, vous l’avez peut-être transbahutée vous-même dans une voiture meurtrière après l’avoir achetée, fracassant au passage, à tout le moins, quelques insectes innocents.

Certains me répondront qu’on ne peut comparer une mouche explosée sur un pare-brise à un agneau abattu pour être consommé. Est-ce à dire que certaines espèces valent plus que d’autres, uniquement parce qu’elles sont « trop mignonnes » ? Attention, place au racisme : il est moins grave de maltraiter certaines races que d’autres pour des raisons physiques. Ou parce qu’on les humanise… Toi, la mouche, ta mort n’est pas importante, même si c’est juste pour aller acheter une bêche. Mais toi, petit agneau, avec tes doux yeux, je ne peux supporter l’idée de t’envoyer à l’abattoir pour te manger. Vous avez dit hypocrisie ?

« S’il est l’égal des animaux, pourquoi l’être humain devrait-il s’interdire ce qui leur est permis ? »

Le végétarisme, c’est bon pour l’environnement!?

Vient ensuite le deuxième argument, bien dans l’air du temps celui-là : l’écologie. Le végétarisme, c’est bon pour l’environnement. Donc, on bannit les protéines animales de son assiette. Puis on achète des aliments importés de Chine ou de Nouvelle-Zélande, avant de rouler 100 km pour participer à une randonnée dans les Hautes Fagnes… N’est-ce pas plus ridicule que de manger la viande et de boire le lait de la vache que le petit fermier d’à côté aura laissé paître dans un champ ?

Bien entendu, comme n’importe quelle activité humaine, la production de viande pollue. Celle de légumes et de céréales aussi, d’ailleurs. Moins, mais ce n’est pas négligeable. Certaines études sur la question donnent le tournis. Cependant, ces chiffres sont-ils dus à l’existence même de la consommation ou au mode de production ?

D’une part, ce sont surtout les élevages de bovins qui polluent. L’argument environnemental s’applique déjà moins aux autres espèces, comme les ovins ou la volaille par exemple. D’autre part, si plus personne ne consommait de viande, de lait et d’œufs, et que tous les élevages disparaissaient, nous devrions inévitablement augmenter très sensiblement la production de végétaux et les importations de denrées de l’autre bout du monde, sans parler des millions de tonnes de dérivés (laine, cuir) à remplacer par des produits synthétiques polluants. Les hypothétiques 18 % de réduction des émissions de CO2 seraient alors contrebalancés par une hausse de ces mêmes émissions pour fabriquer tous ces ersatz, alimentaires ou non. Enfin, nous verrions disparaître nos beaux pâturages, qui sont d’immenses puits de carbone très efficaces toute l’année. Quel serait en fin de compte le gain net global d’une suppression totale de tous les élevages d’animaux ? Quelques pour cent de réduction ? En tout cas, certainement pas une diminution décisive dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Certains me diront que ce sont les petites rivières qui font les grands fleuves. Certes. Mais avant de gagner quelques pour cent en touchant à l’équilibre de notre alimentation et de notre agriculture, qui sont l’essence première de la vie, ne devrions-nous pas commencer par nous interroger sur tous les artifices que l’Homme a créés ? Quelle logique y a-t-il à se donner bonne conscience en arrêtant de manger de la viande, alors que, chaque jour, les avions et les voitures sont plus nombreux à brûler du carburant ? Ne devrions-nous pas aussi d’abord supprimer les animaux de compagnie ? Vous êtes végétarien, mais vous avez un chien ? Tenez-vous bien, selon certaines études, son empreinte carbone serait le double de celle d’un 4x4 qui roule 10.000 kilomètres par an. Eh oui, pas très sympa pour la nature, tout ça, quand on sait qu’ils sont des millions en Belgique. Le thème de l’écologie est trop complexe pour être réduit à une simple suppression de la viande de nos assiettes. Il est évident que, comme tous les secteurs économiques, celui de l’élevage doit chercher à minimiser son empreinte écologique au maximum. Mais pourquoi vouloir sa mort ?

C’est l’excès qui nuit en tout

Penchons-nous maintenant sur le dernier argument. Celui qui veut qu’on soit en meilleure santé quand on est végétarien. C’est bien entendu faux. On n’est ni en meilleure ni en moins bonne santé. Bien sûr, on peut vivre sans steaks, mais on pourrait tout aussi bien se priver de sucre ou de céréales, par exemple. La consommation de viande en soi n’est pas dommageable. C’est l’excès qui nuit en tout.

D’autre part, bien souvent, ce n’est pas le produit brut en tant que tel qui pose problème, mais les préparations. Prenons la pâte à tartiner d’une marque bien connue. Les noisettes sont-elles mauvaises à la santé ? Non, évidemment. Et pourtant, il est recommandé de ne pas abuser de cette pâte à tartiner, car elle peut avoir des effets néfastes en raison des autres éléments qui la composent. C’est exactement le même avec la charcuterie et les viandes préparées.

Comme chez les omnivores, on trouve parmi les végétariens des obèses et des maigres, des sportifs et des mous, des pâles et des bronzés, des buveurs d’eau et des alcooliques, des fumeurs ou non, des accrocs à la randonnée ou aux médicaments. Notre santé ne dépend pas que de notre alimentation. Les facteurs qui l’influencent sont multiples et une consommation de viande modérée et variée n’est pas problématique en soi.

« Prétendre qu’en ne mangeant que des fruits et légumes, on vit sans être responsable de maltraitance animale, on sauve la planète et on est en meilleure santé, c’est une douce illusion ou de l’hypocrisie. »

Seules deux raisons acceptables

Bref, prétendre qu’en ne mangeant que des fruits et légumes, on vit sans être responsable de maltraitance animale, on sauve la planète et on est en meilleure santé, c’est une douce illusion ou de l’hypocrisie.

En réalité, il n’existe que deux raisons objectives et incontestables de ne pas consommer de produits issus de l’élevage : des problèmes médicaux et ne pas en aimer le goût. Tous les autres arguments peuvent être remis en question.

Il est évident que nous devons revoir nos modes de production et de consommation. Car c’est bien là que le bât blesse. Si vous êtes sensible au bien-être animal, à l’écologie et à votre santé, la solution n’est pas de supprimer la viande, mais plutôt de choisir vos produits avec soin, en privilégiant les circuits courts et les artisans qui aiment leur métier et respectent les mêmes principes que vous.

« Finalement, le plus intelligent n’est-il pas celui qui laisse chacun manger ce qui lui plaît, sans le juger, tout en reconnaissant avec humilité les tares de son propre régime alimentaire ? »

Chacun devrait être libre de consommer ce qu’il souhaite sans être jugé. Les radicaux de l’idéologie végétarienne, végétalienne ou végane seraient bien inspirés d’arrêter de proclamer partout qu’ils respectent plus les animaux, l’environnement et leurs corps que les viandards ou les charognards. Cesser de s’estimer meilleurs, supérieurs ou plus intelligents, uniquement parce qu’ils croient en une idéologie qui, comme toujours, repose sur des arguments sélectionnés, biaisés, partiaux et parfois hypocrites, menant au sectarisme, au communautarisme, au rejet et à l’intolérance, dont les victimes sont les omnivores, culpabilisés à outrance et considérés comme des êtres inférieurs et dégoûtants.

Finalement, le plus intelligent n’est-il pas celui qui laisse chacun manger ce qui lui plaît, sans le juger, tout en reconnaissant avec humilité les tares de son propre régime alimentaire ? Allez, je vous invite en toute amitié à manger un burger de lentilles.

Ludovic Pierard

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