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Chaîne d’escla-vache

«Toute chaîne est aussi forte que son maillon le plus faible ! ». Cette phrase est pleine de bon sens et répond d’une logique élémentaire, ne trouvez-vous pas ? Elle a été citée cette semaine par le Commissaire Européen à l’Agriculture et au Développement Rural, Phil Hogan lui-même ! Il a poursuivi sa réflexion en ces termes : « Une chaîne d’approvisionnement alimentaire efficace et juste est une proposition équitable aujourd’hui, qui consiste à donner la parole aux sans voix. ».

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«Toute chaîne est aussi forte que son maillon le plus faible ! ». Cette phrase est pleine de bon sens et répond d’une logique élémentaire, ne trouvez-vous pas ? Elle a été citée cette semaine par le Commissaire Européen à l’Agriculture et au Développement Rural, Phil Hogan lui-même ! Il a poursuivi sa réflexion en ces termes : « Une chaîne d’approvisionnement alimentaire efficace et juste est une proposition équitable aujourd’hui, qui consiste à donner la parole aux sans voix. ».

Vœu pieux, ou démarche réellement volontariste, la Commission semble avoir décidé de prendre le taureau capitaliste par les cornes, et propose de mettre en place des mesures susceptibles d’interdire les pratiques commerciales déloyales préjudiciables aux maillons les plus faibles de la chaîne agroalimentaire. Le maillon faible n’est autre que l’agriculture, bien évidemment… Selon le vice-président de la Commission Jyrki Katainen, responsable de l’Emploi, des Investissements de Croissance et de la Compétitivité, les agriculteurs « manquent souvent de pouvoir de négociation » . Bien dit, mon Jyrki !

Jyrki et Philou sont deux petits plaisantins, qui s’ingénient à enfoncer des portes ouvertes, comme s’ils avaient résolu une énigme inaccessible et s’en félicitaient. Cette histoire de chaîne n’a rien de bien nouveau, en ce qui nous concerne, ni de réjouissant. Notre maillon dit « faible » est d’une certaine manière sacrément costaud, depuis le temps que nous tirons par notre labeur toute la filière alimentaire, comme des chevaux de trait, comme les esclaves des Pharaons d’Égypte qui halaient les blocs cyclopéens des pyramides. J’ai raconté cette histoire de chaîne à ma voisine agricultrice, une dame généreuse au verbe coloré, laquelle a tout de suite embrayé en parlant de notre chaîne « d’escla-vache », un néologisme qu’elle a prononcé avec dépit, des éclairs dans le regard et la colère dans la voix. Elle parle aussi du « ga-vache » des grosses « dindustries » agro-alimentaires, du « la-vache » en continu des cerveaux des fermiers, du commerce actuel de la viande et du lait qu’elle qualifie de « sau-vache », et de notre état permanent de « ser-vache ». « Il faudrait leur donner la cravache, à tous ces maillons forts de l’Europe!! »

Je ne lui donne pas tort. L’Union Européenne existe depuis soixante ans, et ce genre de discours revient régulièrement dans la bouche des Eurocrates, en d’autres termes, avec d’autres explications tordues, mais jamais, au grand jamais, cette volonté de rendre l’agriculture rentable pour les agriculteurs n’a été rencontrée. L’UE n’a jamais été au bout de sa réflexion et a toujours fini par nous sacrifier sur l’autel de la rentabilité. Rappelez-vous de Sicco Mansholt, Mac Sharry, Franz Fischler, Mariann Fischer-Boel… et leurs idées géniales qui allaient à coup sûr arranger la situation, nous sortir de l’esclavage de la précarité… Tu parles !

Ce cher Phil Hogan nous revient avec de belles promesses, sucrées et dorées comme des tranches de pain d’épice : « L’initiative d’aujourd’hui vise à interdire les pratiques commerciales déloyales (…). Nous cherchons à éliminer le « facteur de peur » dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire, à travers une procédure de plaintes confidentielles. ». Comme c’est bien dit ! Signe d’espoir ou de future désillusion, le Commissaire à l’Agriculture et ses collègues affirment cette fois être poussés dans le dos par les citoyens européens qui ont répondu au récent sondage d’opinion. 88 % des répondants considèrent qu’il est indispensable de renforcer le maillon « faible » de l’agriculture. 97 % (!!) des sondés approuvent tout à fait l’idée d’améliorer de manière substantielle, lors de la prochaine réforme de la PAC, la position des agriculteurs dans la chaîne des valeurs qui amène les aliments de la fourche à la fouchette, du sol cultivé à l’assiette.

La valse à mille temps des bonnes intentions n’a pas fini de tourner. Ma voisine et sa vache à mille plans va me trouver une nouvelle tirade de son cru, une chaîne d’esclavage constellée de mots « vaches » : elle y placera breuvage, clivage, élevage, lessivage, rivage et… veuvage !

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