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Être à l’écoute

Dans nos régions dit-on, l’agriculture est à la croisée des chemins, un vaste carrefour vivement éclairé, grouillant de monde, équipé de feux clignotants tantôt oranges et tantôt rouges, avec des petits flèches vertes pour nous montrer la voie du bio ou de l’agro-écologie, et d’autres panneaux pour nous indiquer toutes sortes de diversifications possibles et imaginables. Les signaux ne manquent pas, et chacun d’entre eux pointe une ou plusieurs directions, grevées d’obligations. Le choix est tellement vaste et les directives si nombreuses, que l’agriculteur d’aujourd’hui y perd sa religion, comme dans la chanson de R.E.M., et ne sait plus à quel saint se vouer, coincé au milieu du jeu de quilles en attendant un signe du Ciel qui lui montrera la bonne sortie.

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« Il faut être à l’écoute ! », psalmodient en chœur nos conseillers de tout poil, de tout crin, de toutes confessions. Mais encore ? « Le gros défaut des agriculteurs est de travailler le nez dans le guidon, sans jamais lever la tête pour écouter et regarder autour d’eux. ». Or donc, il nous faut tendre l’oreille et cibler les attentes de la société. Fort bien ! Quelles sont les demandes de celle-ci ?

L’agriculture actuelle doit répondre à trois grands challenges, entend-on régulièrement ces temps-ci : la démographie galopante, les changements climatiques et la digitalisation universelle, trois défis à relever sur fond de trumpisation du commerce mondial. En d’autres termes, nous devrons sans cesse nourrir davantage de gens, apporter des solutions aux problèmes environnementaux et moderniser nos exploitations, lesquelles accusent un grave retard dans les nouvelles technologies informatiques. Ce retard doit être comblé au plus vite, martèle Phil Hogan, l’actuel Commissaire Européen à l’agriculture, encore en place pour quelques mois. La prochaine PAC 2020 compte s’y atteler vigoureusement, quitte à rogner gaiement sur les aides directes aux revenus des agriculteurs. Il faut innover, il faut rénover : il s’agit là de la seule voie de salut, insistent les technocrates européens !

À dire vrai, l’Europe ressert quotidiennement ce leitmotiv en plat du jour depuis la création de la PAC, voici 57 ans. Les agriculteurs l’ont écouté religieusement et ont cédé à cette rage d’éternelle innovation, d’optimisation, de rentabilisation. Pour quels résultats ? Une destruction du tissu paysan, une complication sans cesse croissante de notre métier, une réduction continue de nos revenus. Cela fait beaucoup de mots en « tion », qui riment avec « disparition » de millions d’exploitations en Europe… Les voix de la PAC ressemblent aux chants des sirènes, lesquels précipitent les marins trop naïfs vers les récifs mortels. Mais alors, qui d’autre faut-il écouter ? Nos conseillers administratifs ? Ils mangent au râtelier des pouvoirs publics, et ne sont -hélas trop souvent !- que porte-paroles et exécutants de la PAC et ses dérives.

Ou alors, écouter nos acheteurs et fournisseurs ? Que désirent-ils ? Des prix compétitifs ! Nous voulons quant à nous des prix « justes », des prix qui nous ménagent un revenu décent. Pour être « compétitifs », les prix proposés et exigés par les marchands doivent leur octroyer un bénéfice maximal. Nos produits agricoles doivent être vendus le moins cher possible, tandis qu’il nous faut acheter des intrants au prix fort. Le langage du commerce est impitoyable, guttural, sans pitié, et sa voix couvre toutes les autres. Elle est d’une violence inouïe. Nous sommes à son écoute : bien forcés ! À nous, selon eux, de tout mettre en œuvre pour produire au moindre coût des matières premières, que les transformateurs et commerciaux valoriseront pour générer leurs plus-values plantureuses.

Doit-on écouter uniquement la voix de ces gens, de ces vampires accrochés à nos veines ? Ce serait trop déprimant, et signifierait la fin de nos dernières illusions. Tournons-nous plutôt du côté des consommateurs, des « consom’acteurs » comme ils plaisent à s’autoproclamer. Monsieur Toulemonde désire avant tout manger à sa faim (et non à sa fin) des aliments diversifiés et de qualité, pour pas cher, et disponibles toute l’année. Monsieur Toulemonde veut de la satiété, du plaisir et de la convivialité, des émotions positives dans son assiette, du rêve et des bons sentiments, du durable écologiquement. Monsieur Toulemonde connaît très mal le monde agricole, et se laisse mettre en tête toutes sortes de concepts, comme par exemple les productions dites « du terroir », le bio, le fairtrade, le bien-être animal, l’écologiquement responsable… Monsieur Toulemonde veut se donner une bonne conscience, mais laisse tout le boulot aux cultos. Il se pose en bon citoyen, est volontiers donneur de leçons et lapidaire dans ses jugements. C’est tout blanc, ou c’est tout noir, et ce qui est blanc aujourd’hui sera peut-être noir demain, selon son bon vouloir, parce qu’un faiseur d’opinion lui aura fait changer d’avis.

Doit-on écouter Monsieur Toulemonde ? Sans doute, puisqu’il nous faut « être à l’écoute »… Écouter les politocrates, les technocrates et bureaucrates, belges ou européens ? Bien obligés ! Et les salamalecs, les roublardises des commerçants et des banquiers ? Comment y échapper ? Tous ces gens nous assourdissent, nous abasourdissent par leurs messages contradictoires et schizophrènes.

Il nous faut être à l’écoute, tous azimuts, mais n’oublions surtout pas d’écouter avant tout nos voix intérieures paysannes, si nous voulons nous échapper enfin de cette « croisée des chemins »…

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