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Un monde conquis

Quand la vie devient trop vache, elle se tétanise et perd sous elle tout son lait de bonheur ; elle se couche et ne veut plus se relever. L’article de la semaine dernière a suscité quelques émotions parmi les lecteurs du Sillon Belge : tel était le but de ma démarche, et je vous remercie de m’avoir lu !

Temps de lecture : 4 min

La prévalence excessive de la dépression nerveuse en agriculture est un signe parmi d’autres du mal-être de notre profession, le symptôme d’un monde conquis et envahi par l’industrie, la chimie, les biosciences et surtout par la finance et la bureaucratie, le tout sous la houlette d’une politique ultralibérale. Vos réactions vont toutes dans ce sens.

« Il y a tout un monde qui a été envahi et conquis, et qui meurt en silence ». Cette petite phrase du Dr Visser est lourde de sens. Selon un lecteur du Sillon, tout se résume dans ces quelques mots, parfaitement illustrés par la photo de couverture du journal de ce 12 avril, où l’on voit un tracteur massif attelé d’un semoir d’engrais chimique, sur une terre tassée, écrasée, marquée, frappée du sceau d’une lourde mécanisation. Le parallèle entre la paysannerie et la terre agricole est saisissant : deux mondes conquis, et qui meurent en silence ! La chimie a envahi nos pratiques agricoles : organophosphorés et médicaments en élevage, engrais chimiques et pesticides en culture. En apparence pour le meilleur à court terme, mais hélas pour le pire du pire à moyen et à long terme ! Les effets se font sentir à tous les étages de notre vie : surproduction et faible rentabilité financière, empoisonnement mental et physique des agriculteurs, altération des sols et perte de fertilité…

Nos sols de grande culture sont en effet en burn-out, m’a affirmé un autre lecteur du Sillon. Ils ont perdu beaucoup trop de carbone, et leurs écosystèmes vivants sont en pleine dépression. Les analyses de terres en laboratoire rendent des verdicts désastreux, en ce qui concerne leur vie microbienne, leur teneur en humus où vivaient des myriades d’insectes, des champignons, des bactéries, des virus, des lombrics et toute une microfaune absolument indispensable à la fertilité des sols. Et bien, justement, on peut comparer le microbiome des sols et le microbiome intestinal des humains ! Chez les malades d’une dépression nerveuse, la microflore digestive est elle aussi altérée, déséquilibrée, avec des « mauvaises » bactéries en surnombre par rapport aux « bonnes », qui vont se balader sans permission du côté du système nerveux et lui donnent le bourdon. Les yaourts nature sont conseillés très sérieusement par les médecins, aux anxieux, aux déprimés, et aux personnes qui souffrent de maladies neurovégétatives !

Quant aux sols déprimés et conquis par la chimie, comment leur rendre le bonheur ? Comment extirper leur tristesse, pour les voir à nouveau produire des aliments qui rendront la joie de vivre aux agriculteurs et le sourire aux consommateurs ? Tout est lié : les burn-outs des agriculteurs et ceux des sols, les empoisonnements des terres et des animaux, et ceux des paysans. S’attaquer aux seuls problèmes médicaux des fermiers déprimés ne résout rien, si l’ensemble de la gestion de notre agriculture n’est pas revu par une « agro-écologie » plurielle et paysanne, laquelle prendra soin des hommes, de leurs terres, et de leurs animaux!!

Nous vivons dans le temps-argent, et celui-ci nous essore, nous vide de toute notre volonté vitale, car le combat que l’on nous fait mener est perdu d’avance et ne sert qu’à enrichir des nantis. Comment être fiers de nous, dans les conditions actuelles ? Comment s’accrocher à l’amour du métier, puisqu’il ne sert plus qu’à alimenter une grosse machine industrielle-financière-politique-administrative ? Les agriculteurs se posent ce genre de questions, et se sentent abandonnés… Une lectrice du Sillon m’a demandé, à propos de la dépression nerveuse en agriculture, si des chiffres sont cités quelque part en ce qui concerne la Wallonie. Le sujet semble moins émouvoir les foules chez nous, dit-elle ; les Français y sont davantage attentifs. Autrefois, m’a raconté cette dame d’un certain âge, les gens de son village priaient une sainte tourangelle, disciple de Saint-Martin : Sainte Monégonde. Elle était réputée guérir les maladies de tristesse ; une source lui était consacrée, et son eau était recueillie le 2 juillet, jour de sa fête. On appelait aussi cette date « la Sainte Pleuvinette », car chaque année, le ciel était triste ce jour-là et laissait échapper quelques larmes de pluie.

Cette pratique venue d’un temps désormais révolu, peut paraître bien dérisoire, mais au moins, elle rendait l’espoir et apaisait les âmes malades. Aujourd’hui, on donne des médicaments, on interne les gens trop atteints, on rentre les suicides dans des statistiques, sans jamais vraiment s’attaquer aux racines du mal qui ronge notre agriculture. Solutions trop faciles, trop simplistes ; démission planifiée d’une société égoïste qui se fiche pas mal de ceux qui la nourrissent, d’un monde perdu qu’elle a envahi et conquis…

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