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Coût climatique

« 223 euros ! Et mon caddie n’est même pas rempli ! Se nourrir coûte de plus en plus cher, ma bonne dame ! ». La complainte des consommateurs s’étire et se répète sans fin au sortir des supermarchés ; les clients inspectent leur bon de caisse et déplorent systématiquement la chèreté des aliments. Et pourtant… Les étiquettes dans les rayons affichent des montants bien inférieurs aux coûts réels des marchandises, ce n’est un secret pour aucun spécialiste de l’économie. Il faudrait y ajouter le coût environnemental, que nous devrons un jour solder ; nous-mêmes et surtout nos enfants ! Le prix payé ne comprend pas non plus le coût social, ce déni de revenu décent imposé aux agriculteurs par notre société. Ceux-ci sont enferrés dans un système trop bien rodé, lequel leur impose d’une main des prix de vente inférieurs aux prix de revient, et de l’autre main les indemnise chichement avec de l’argent public, qu’il conviendrait logiquement d’ajouter au prix payé ! Les 223 euros de ce caddie devraient être multipliés par 1,5, voire 2. Un jour ou l’autre, l’humanité devra repasser à la caisse pour combler la différence, forcément…

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Ce raisonnement n’est pas neuf, mais personne n’ose le crier sur tous les toits. Ou plutôt n’osait. L’Université d’Augsbourg (Allemagne) s’est attachée à révéler en pleine lumière ce nébuleux ectoplasme, tous ces non-dits, par une étude des « coûts cachés » des denrées alimentaires. Les paramètres climatiques ont été ici placés sous la loupe des chercheurs : gaz à effet de serre libérés, et énergie dépensée lors de la production agricole, du transport, de la transformation, du conditionnement, de la commercialisation. Les coûts sanitaires et sociaux ont été ignorés -peut-être une autre fois ? –, ce qui rend cette étude incomplète et orientée « environnement ». Une fois de plus, le bien-être des paysans et leur revenu sont restés en retrait. Cependant, l’étude de cette université a le grand mérite d’exister et d’asséner des vérités ahurissantes. Ainsi, les prix réels de la viande et des produits laitiers sont quasi doubles des prix payés, selon eux, de même que les prix des denrées raffinées qui imprègnent nos menus quotidiens : sucre et graisses végétales surtout. Le coût climatique des produits nomades importés, lesquels font quasi un tour du monde avant d’atterrir dans nos assiettes, est tout bonnement affolant, mais il est très peu répercuté auprès du consommateur. Les générations qui nous suivent vont en payer le prix fort, intérêts et principal grevés de tous les dégâts occasionnés à notre planète !

L’étude d’Augsbourg s’est traduite par un double affichage des prix chez Penny, une chaîne de supermarchés allemands. Par exemple, pour un litre de lait en berlingot : 0,79 €-prix payé, 1,75 €-prix réel ; un kg de viande hachée bio en barquette plastifiée : 11,25 €-prix payé, 25,45 €-prix réel ; un kilo de pommes allemandes en vrac : 1,05 €-prix payé, 1,15 €-prix réel. Les clients de ces magasins se plaignent sans doute beaucoup moins quand ils épluchent leur bon de caisse, sur lequel les deux montants se côtoient ! Le message est clair : il faut consommer local, des aliments bruts sans emballage, produits en circuit court avec un faible bilan carbone. Le coût climatique devient exorbitant et risque à coup sûr d’être répercuté dans un futur pas si lointain. L’agriculture, cette bonne vieille variable d’ajustement, taillable et corvéable à merci depuis la nuit des temps, ne pourra éternellement supporter en bout de chaîne le diktat des prix bas imposés par le commerce. À trop charger le bourricot, il finit par s’affaler et braire comme un perdu. Les vrais paysans disparaissent beaucoup trop vite ces dernières années, au profit d’entités agricoles industrielles, de gigantesques exploitations, dont l’objectif n’est plus de produire une nourriture de qualité, mais plutôt des matières premières d’une banalité désespérante.

L’analyse de l’Université d’Augsbourg enfonce des portes ouvertes et ne nous apprend rien, à nous agriculteurs. L’idée de ce double affichage des prix n’est pas neuve. Mais pourquoi donc ont-ils choisi l’alimentation pour leur étude ? Sans doute parce que se nourrir est essentiel, au même titre que l’eau, absolument essentielle à la vie ? Ce genre de recherches soulève quelques pans seulement des dysfonctionnements et aberrations qui affligent notre société consumériste. Il faudrait se pencher sur le secteur des transports, des loisirs, sur ces vacances lointaines en avion et ce mouvement perpétuel des marchandises ; sur les industries de la construction et les cimenteries ; sur la pétrochimie et les plastiques ; sur les textiles et appareils électriques ; sur les secteurs de l’informatique et de la communication, et ces monstrueux « GAFA » qui vampirisent le monde. Combien coûte réellement un billet d’avion low cost, par exemple ? Dix, quinze fois plus que le prix payé. Un smartphone ? Une voiture électrique ? Tous ces plastiques qui polluent les océans ?

Comme dans la fable des animaux malades de la peste, on crie « haro » sur le baudet, sur l’alimentation, pour ne pas fâcher les barons de la finance et jeter du sable dans les rouages de la grande machinerie capitaliste. C’est idiot ! Tôt ou tard, notre planète bleue nous présentera la note, et le coût climatique de notre caddie risque d’être… définitivement renversant !

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