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Le mur de BBBerlin

« On va droit dans le mur ! »

Cette expression revient en boucle dans les discours et la dialectique déconcertante des écologistes. De quel mur s’agit-il ? Qui l’a construit ? Mystère. Il doit bien exister quelque part, puisqu’ils en parlent sans cesse… À les écouter, je l’imagine d’un noir opaque, haut et compact, tout hérissé de chevaux de frise, effroyable et mortel comme le mur de Berlin…

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Ce mur s’est dressé devant moi, une fois de plus, lors de la projection du film « Les Liberterres », portrait altermondialiste de quatre agriculteurs qui ont décidé de tourner le dos à tous les péchés mortels de l’agro-industrie, et de se convertir à la seule vraie religion : l’agriculture biologique. Durant l’heure quinze du court-métrage, ce fameux mur a été évoqué des dizaines de fois, vers lequel nous fonçons comme de stupides et aveugles candidats à un suicide collectif, nous, agriculteurs conventionnels, imbéciles et criminels.

Je le confesse, en vieux paysan imprégné jusqu’aux os d’un atavisme incurable, je suis prompt à culpabiliser, à me dire que oui, je suis sans doute affligé des terribles péchés dont on nous accuse. Le témoignage d’une jeune agricultrice autrichienne m’a particulièrement touché. Elle trait quinze vaches en Carinthie, et livre son lait cru au détail à sa clientèle locale ; chaque animal a un prénom et une véritable personnalité ; les bêtes sont nourries à l’herbe des prairies en été et au foin séché en grange en hiver. La jeune dame semble très épanouie ; elle parle de son métier avec amour, sans crainte de ce terrible « mur » qui obsède tant les écologistes. Une véritable paysanne, ni écolo, ni bobo !

Autre « liberterre » d’apparence très sincère, un Flamand forme à l’élevage des chèvres de jeunes Africains subsahariens, dans son exploitation, afin de leur inculquer une agriculture durable qui restaurera leurs terres désertiques. Il a refusé pour lui-même toutes les primes de la PAC et met en place de vraies pratiques paysannes. Dans la même veine, troisième « liberterre », un Sicilien explique dans le film son combat pour sauver les anciennes variétés italiennes de froment, moins rentables mais ô combien adaptées aux conditions particulières de son pays méditerranéen. Il rappelle que ces fabuleux froments, démodés aujourd’hui, ont nourri et fait grandir les grandes civilisations antiques : Assyrienne, Égyptienne, Grecque, Romaine… Son témoignage est poignant de justesse et de poésie.

Le quatrième « liberterre » est un Wallon bien de chez nous, un « biosiness-man » tout à fait performant dans la gestion agronomique et commerciale de sa grosse exploitation. Il élève des Aberdeen Angus, une race qu’il pare de toutes les qualités. J’applaudis à quatre mains pour son travail, ses talents de communicateur, son sens aigu des finances et du commerce. Mais pourquoi diable se croit-il obligé de critiquer de manière aussi consternante la race BBB ?? Laquelle, selon ses dires, « va droit dans le mur » , et tous ceux qui l’élèvent également. Lui aussi élevait des BBB, et « allait droit dans le mur » avant que la grâce divine de la conversion biologique ne le touche de son aile bénie. Ses propos peu amènes sont illustrés dans le film par des images du concours BBB de Libramont, où l’on voit d’énormes montagnes de viande déambuler pesamment sur le ring. Il parle de race médicalisée, de nuits blanches, de 25 % de mortalité chez lui (!!!). La totale ! Ses aïeux et ses parents ont pourtant (très bien) vécu grâce au BBB.

« » Il le vomit aujourd’hui ! On n’est jamais si bien trahi que par les siens… Chacun le sait, les convertis à une nouvelle religion sont les plus fanatiques des prosélytes donneurs de leçons, moines-soldats de l’inquisition brûlant avec une ferveur féroce ce qu’ils ont adoré et qui les a nourris durant leur enfance et leur jeunesse. C’est tellement jouissif, – et bon pour sa publicité –, de hurler avec les loups quand toute la meute bio-bobo-écolo se lance à la curée sur sa proie préférée : le Blanc-Bleu-Belge ! « Les Liberterres » est un très très beau film, mais je ne comprends pourquoi ils ont cru bon s’en prendre à notre BBB, aussi respectable, me semble-t-il, que l’Aberdeen Angus ?

Si j’étais aussi méchant envers eux qu’ils ne le sont envers nous, je vous raconterais que l’Aberdeen Angus se rencontre surtout dans les feed-lots américains, une race boule-de-suif à hamburgers, une race bovine industrielle pourvoyeuse de la junk food, laquelle envoie à coup sûr ses consommateurs « droit dans le mur »… Oui, ce serait bête, méchant et inexcusable de ma part, car les éleveurs belges d’Aberdeen Angus élèvent cette race de la meilleure manière qui soit, comme nous le faisons avec notre Blanc-Bleu-Belge !

Alors, pourquoi sans cesse ériger ce mur de la honte, ce mur de BBBerlin qui sépare agriculteurs bio et conventionnels, et qui les dressent les uns contre les autres ? Avec ces luttes intestines, nous allons tous – comme qui dirait !… droit dans le mur !

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