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Décroissants chauds au matin du monde

Ces temps-ci, ils descendent tous dans la rue : les sans-rien, les sans-boulot, les sans-papiers, les sans-avenir, les sans-espoir, les sans-idées… Des sans-rides et des sans-dents, des sans-diplômes et des sans-cheveux, des sans-gêne et des sans-complexe, des sangs chauds et des sangs froids, tous mélangés. Sans-culottes du jeudi ou du samedi, ils brandissent des pancartes, s’habillent de gilets jaunes, foulards rouges, chemises blanches ou bonnets verts, scandent des messages pour tous les goûts, toutes les couleurs ; tous les coûts, toutes les douleurs.

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Que veulent-ils au juste ? Ils veulent que ça change ! Et « Ça », c’est un peu de tout : plus de sous, mais moins de soucis ; davantage d’écologie, mais de l’essence moins chère pour rouler plus ; davantage d’emplois, mais travailler moins longtemps. Chacun y va de ses réclamations, en espérant que nos décideurs, ceux que nous avons élus et ceux qui nous dirigent, trouveront les formules magiques adéquates. Quand on voit tous ces malheureux s’énerver et se plaindre, on finit par se dire que nous autres agriculteurs ne sommes pas les plus gravement impactés par la « crise », cette « crise » que l’homme de la rue crie à cor et à cri. Bien sûr, certains sont moins crédibles, comme ces jeunes de la génération Play-Station qui font l’école buissonnière chaque jeudi, et partent en croisade afin d’arrêter le réchauffement climatique et la bêtise humaine. Il y a du boulot ! Qu’ils commencent par ranger leur chambre, changer moins souvent de smart-phone, ne plus prendre l’avion trente-six fois par an : ce sera un bon début…

Plus personne n’est content. Notre société subit le diktat de l’immédiateté et du changement perpétuel. Demain doit être forcément meilleur qu’aujourd’hui, c’est une obligation, une question de vie ou de mort. Maintenir un statu quo est une hérésie. Les valeurs premières sont désormais l’innovation, l’agilité dans l’adaptation, la croissance. « Croissance », le mot est lâché ! Au nom de ce dieu tout-puissant, toutes les valeurs traditionnelles sont jetées à la poubelle : vouloir toujours plus ou toujours autre chose fait partie de la modernité. Hélas, cette fuite en avant s’écrase un jour, contre l’un ou l’autre mur. La planète en a marre et s’échauffe ; nos sociétés sont malades d’envies inutiles et poursuivent des chimères insaisissables, tandis qu’une portion grandissante de l’humanité meurt de faim et de misère. Et l’agriculture mijote dans ce chaudron infernal, secteur autrefois garant de stabilité, de sagesse élémentaire. De tout temps, le paysan a travaillé pour pouvoir bien vivre, pas pour gagner sans cesse davantage. L’agriculteur d’aujourd’hui doit alimenter, non pas les gens, mais surtout l’argent, la grande machine à sous universelle : acheter, vendre, produire, investir, emprunter. À l’image des manifestants colorés, le paysan de 2019 ne sait plus où se situe sa vraie mission !

Et demain, de quoi sera-t-il fait ? D’ores et déjà, nos Pythies agricoles modernes ont tiré des plans pour l’avenir. De la croissance ! Toujours de la croissance ! En 2050, l’humanité comptera dix milliards d’individus, lesquels consommeront chacun deux fois moins de viande, mais deux fois plus de fruits et légumes. L’équation est à la fois simple et complexe. Simple, si les puissants de ce monde veillent à équilibrer les productions et les mouvements perpétuels du commerce, dans un souci de durabilité sociale, économique et écologique. Complexe, si cette fichue croissance économique mène la danse, au mépris du bon sens paysan, dans une logique de profit immédiat pour ceux qui l’animent.

Encore des croissants chauds, au matin du monde de demain, pour se brûler les doigts et digérer tout de travers ? Ou des « décroissants » : moins de croissance, davantage de décence, pour une vraie renaissance ? Puissent les bonnes voix se faire entendre, dans la cacophonie universelle !

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