Accueil Voix de la terre

Un cygne noir et ses cygnes blancs

On nous a dit : « Plus de bisous ! ». Pourtant, le vent de mars nous a fait sa bise du Nord-Est pendant trois semaines, depuis l’arrivée du Covid-19, comme par hasard. Les grandes et méchantes invasions viennent le plus souvent de l’Est ! Celle qui nous occupe nous a confinés chez nous, confus et déconfits, mais confiants dans l’issue d’un combat qui risque de faire pas mal de victimes. Chaque jour apporte son lot de (mauvaises) nouvelles. La télé et les journaux sont devenus des plus déprimants… Des plus déroutants aussi, quand on veut suivre le flot tourbillonnant des informations. Politiciens, journalistes, scientifiques, médecins, économistes, sociologues, philosophes, altermondialistes, etc : ça parle dans tous les sens ! Chacun y va de ses conseils, de ses commentaires, de sa vision de l’avenir, de ses leçons à tirer. En pleine crise, l’émotionnel semble parfois prendre le pas sur le rationnel. Une expression cristallise pour moi la situation actuelle : nous vivons, paraît-il, un « cygne noir », lequel est suivi de ses « cygnes blancs ».

Temps de lecture : 4 min

Le coronavirus, -et les catastrophes en cascade qu’il entraîne –, a pris le monde entier au dépourvu. Il s’agit d’un « cygne noir », en référence au concept décrit par le philosophe Nicholas Taleb, lequel faisait référence en 2001 à ces événements inimaginables, -comme l’existence d’un de ces magnifiques palmipèdes au plumage d’ébène –, rarissimes, sans précédent, et qui entraînent des conséquences désastreuses. Déjà, les Romains employaient une expression latine où cet oiseau impossible était évoqué, pour qualifier une hypothèse funeste qui ne possédait qu’une chance infinitésimale de se réaliser. Cependant, le cygne noir existe bel et bien ! Il vit en Australie ; on l’a découvert au 18e siècle. L’expression est séduisante, et décrit bien la crise surréaliste dans laquelle nous sommes plongés. Un autre cygne noir est apparu le 11 septembre 2001, quand des pilotes terroristes ont précipité leurs boeings sur des gratte-ciel new yorkais. C’était totalement inédit et inconcevable, dans une nation super-puissante qui se croyait une citadelle inexpugnable.

Le Covid-19 est un cygne noir, sans conteste ! En théorie, il n’avait qu’une chance sur plusieurs milliers de voir le jour avec son lot de caractéristiques qui le rendent si invasif. Il aura fallu un faisceau de multiples circonstances pour le voir se créer et se répandre. Les virologues parlent d’un virus issu du pangolin, qui aurait passé par une chauve-souris puis abouti chez l’homme. Encore fallait-il qu’ensuite, il ne soit pas trop mortel pour ses victimes, pour que la majorité des personnes infectées n’en souffrent guère et puissent le diffuser. Comme une mécanique bien réglée, les différents stades de la contamination planétaire se sont succédés sans être ralentis, évidemment portés par la mondialisation, par le mouvement perpétuel des marchandises et des voyageurs, par l’agencement productiviste des chaînes de productions et d’approvisionnements. C’est dingue ! Le Covid-19 a gagné au lotto intercontinental plusieurs fois d’affilée, et défié toutes les lois de la statistique.

Inutile de vous rappeler ici toutes les conséquences de la pandémie… Nous voici toutes et tous atomisés, « at home isés », m’a écrit un ami. Tout notre système de soins de santé est sous pression. Dans les pays plus pauvres, ou davantage désinvoltes, la situation est carrément effroyable. Les « cygnes blancs », -événements prévisibles –, sont apparus en rangs serrés. Les décès se sont multipliés ; les marchés se sont effondrés ; les activités fonctionnent au ralenti, sauf les hôpitaux ; les lignes d’approvisionnements classiques sont interrompues. La population s’est sentie rapidement au bout du rouleau : elle s’est précipitée dans les magasins pour se fournir en papier toilette et nourriture de base. Les gouvernements se sont dotés de pouvoirs forts pour circonscrire au mieux les conséquences de la pandémie.

Tout le reste est subitement devenu secondaire : la crise migratoire, le réchauffement climatique, le Green Deal européen, la formation d’une équipe ministérielle fédérale en Belgique, l’Euro de football, les Jeux Olympiques, les sacro-sacro-saints voyages touristiques du bon peuple idiot des consommateurs. D’un coup de baguette magique, les grands argentiers ont trouvé des milliers de milliards de dollars, de yuans et d’euros pour éloigner ces redoutables cygnes blancs, couleur de récession économique mondiale, pour sauver le grand capitalisme agonisant, étouffé par ce virus que personne, non personne, n’avait vu venir. Dans la foulée, ne pourraient-ils pas, par exemple, installer un réseau de distribution d’eau potable en Afrique ? Ce serait gentil et ne leur coûterait que quelques petits millions d’euros, une dringuelle pour les Banques Centrales ! Cela sauverait chaque année la vie de dizaines de milliers d’enfants, bien plus nombreux que les victimes du coronavirus…

Un cygne noir, suivi de ses cygnes blancs ! Ils furent un jour de vilains petits canards bien gardés, mais leur libération éclaboussante sur l’étang de nos vies nous rappelle à quel point le monde patauge bêtement et tourne fou, aveugle, égoïste, scandaleusement injuste et inconscient.

A lire aussi en Voix de la terre

Où est le printemps?

Voix de la terre Une bergeronnette fait son nid sous mes panneaux solaires, Les choucas ont fini de boucher la cheminée de mon fils. Aie ! Les tourterelles s’impatientent, les feuilles de nos arbres tardent à venir, elles chantent, ont envie de nicher. Mais oui, c’est le printemps…
Voir plus d'articles